À ceux qui l’écoutaient, il parlait des nuages et des larmes, de ces mondes lointains, de toutes ces choses de la terre et du ciel que ne savent que les enfants et les fous.
4 février 1912, au petit matin. Une trentaine de personnes s’étaient rassemblées là, devant la tour Eiffel. Des policiers, des journalistes, des curieux. Tous levaient les yeux vers la plate-forme du première étage. De là-haut, le pied posé sur la rambarde, un homme les regardait. Un inventeur.
Il avait trente-trois ans. Il n’était pas ingénieur, ni savant. Il n’avait aucune compétence scientifique et se souciait peu d’en avoir.
Il était tailleur pour dames.
Il s’appelait Franz Reichelt.
Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à ce mûrier: déracine-toi dans la mer.
J’imaginais un livre qui raconterait ton histoire et, à travers elle, celle d’une époque lointaine, avec sa candeur, sa foi dans les promesses du progrès, sa passion nouvelle pour ces joujoux qu’on envoyait dans le ciel.
L'expérience du vertige n’est pas la peur de tomber mais le désir de sauter.
Il est sur le toit.
Les tuiles scintillent dans la lumière. Ses jambes sont prises dans un entrelacs caoutchouteux de fils. Il écarte les bras : le vêtement se tend. Il se penche.
L'endroit est merveilleux. C'est le royaume d'enfance retrouvé, un lieu d'où l'on ne verrait du monde que le ciel et les fleurs.
L'air n'a jamais été aussi transparent. Franz croit sentir un parfum de houblon. Une cloche de tissu dérobe son visage.
Quand il se redresse, un peu secoué mais sain et sauf, il rayonne de joie.
Il a réussi.
Il a sauté et il a réussi.
Bientôt son visage, le son de sa voix, son nom même s'effaceraient et il ne resterait rien de son échec comme il ne resterait rien de tous ceux qu'il aimait.
Louise murmurait : Si seulement son père...
Elle n'en disait jamais plus. Franz ne posait pas de questions. Il savait sans savoir. Une histoire de violence, de dettes, la déchéance d'un mari qui noyait sa vie dans l'alcool, disparaissait, revenait, plein d'une colère vaine envers le monde et lui-même.
Tu étais tous les scénarios. Tu étais tout ce qui m'obsède. Le souvenir des corps qui chutent. L'évidence de cette quatre-vingt-deuxième seconde qu'il faudra bien vivre un jour. Cette vérité si troublante: l'expérience du vertige n'est pas la peur de tomber mais le désir de sauter.
Tu étais ces cauchemars qui me hantent depuis l'enfance: le sol qui s'ouvre, une plaque de neige qui glisse, une barrière qui lâche et m'entraîne avec elle ou m'arrache ceux que j'aime.
Il savait bien sans vouloir se l'avouer, se qui aimantait ses pas. C'était plus fort que lui. La Tour l'attirait. Elle l'attirait comme ce désir, peut-être, de revivre l'échec, l'anéantissement, l'absence d'Emma.