Citations sur Bernie Gunther, tome 3 : Un requiem allemand (24)
- [...] Il faut prendre le 71 à partir de Schwarzenbergplatz, qui figure sous votre plan sous le nom de Stalinplatz. Impossible de la rater : elle est dominée par une immense statue de soldat russe en libérateur. Les Viennois l'appellent le Pillard inconnu.
Je souris.
- Comme je dis toujours, Herr Doktor, nous survivrons à la défaite, mais Dieu nous garde d'une nouvelle libération.
Ces Américaines avaient peur de moi, tout simplement, parce que j'étais allemand. Comme si, lorsqu'elles me regardaient, elles voyaient défiler les bandes d'actualités sur Bergen-Belsen ou Buchenwald. En réalité, une question papillotait dans leurs yeux : comment avez-vous pu laisser faire ça ? Comment avez-vous pu tolérer de telles horreurs ?
Sans doute, pendant plusieurs générations, quand ils croiseront notre regard, les citoyens des autres nations nous poseront-ils la même question muette.
Et demain, avec notre industrie et notre technologie, nous pourrons réaliser ce que Hitler n’aurait jamais pu réaliser. Ce à quoi Staline – oui, même Staline avec ses formidables plans quinquennaux – n’ose même pas rêver. L’Allemagne n’aura peut-être plus jamais la primauté militaire, mais elle parviendra à la première place grâce à l’économie. C’est le mark, pas la svastika, qui soumettra l’Europe. Doutez-vous de mes prévisions ?
- J'ai moi-même été interné dans un camp de prisonniers soviétique, Frau Becker, dis-je. J'y suis resté moins de temps que votre mari. J'ai peut-être eu de la chance, mais ça ne m'a pas transformé en espion. (J'allai a la porte, l'ouvris, hésitai un instant.) Vous voulez que je vous dise en quoi ça m'a transformé ? Aux yeux de la police, aux yeux des gens comme vous, Frau Becker, aux yeux de gens comme ma propre femme, qui refuse que je la touche depuis mon retour ? Vous voulez savoir ce que ça fait de moi ? Un intrus.
- Je dirais plutôt qu'il s'agit d'une intuition. Comme ça, si je me trompe, je n'aurai pas l'air d'un amateur.
- Vous faites toujours confiance à vos tripes, hein ?
- Surtout depuis que je peux les nourrir, Vienne est une ville opulente par rapport à Berlin.
Je me trouvai dans une salle d'attente pourvue de nombreuses plantes en pot et d'un aquarium contenant des tortues. Ça change des poissons rouges me dis-je. Comme elles n'avaient plus de propriétaire, je saupoudrai à la surface de l'eau un peu de leur odorante nourriture. C'était ma seconde bonne action de la journée. La compassion devenait une seconde nature chez moi.
Il existait, semblait-il, une certaine base théologique pour refuser l'idée d'une culpabilité allemande collective. La culpabilité, expliquaient les prêtres, est une affaire personnelle entre un individu et son Dieu, et rendre coupable une nation entière constituerait un blasphème, car c'était empiéter sur une prérogative divine.
Car toute chair est comme l'herbe, récita Belinsky, et toute beauté semblable à la fleur des champs : l'herbe jaunit et la fleur se fane.
L’Allemagne n’aura peut-être plus jamais la primauté militaire, mais elle parviendra à la première place grâce à l’économie. C’est le mark, pas la svastika, qui soumettra l’Europe.
— On n’est pas obligé de savoir nager pour jeter une bouée à quelqu’un qui se noie.