Quand j'ai lu ce livre pour la première fois, il s'appelait encore « La machine à brouillard », car le film qui l'a inspiré n'avait pas encore été tourné. Ce film, un des chefs-d'oeuvre de
Milos Forman (auteur par ailleurs de « Hair » et « Amadeus ») a donné un nouveau souffle au roman, qui a pris le titre du film, et gagné un nombre considérable de lecteurs.
Si vous avez aimé le film, (ce dont je suis assuré), vous aimerez le livre, peut-être même un peu plus : vous y mettrez les images du film (d'une grande fidélité au roman), et pour les scènes non filmées (il y en a peu, du reste), vous n'aurez pas de mal à calquer les personnages. La différence essentielle entre le livre et le film ne tient pas à l'intrigue, mais à la narration. Dans le film, la narration est extérieure et se déroule sous les yeux du spectateur. Dans le livre elle est l'oeuvre du Grand Chef Bromden, le chef indien, qui est à la fois observateur, narrateur, et… acteur !
Le thème, on le connaît : c'est la description d'un hôpital psychiatrique en Amérique dans les années 60, une « usine à brouillard » (l'image est parlante), peuplée de personnages atypiques, victimes de troubles du comportement plus ou moins appuyés (les fameux « coucous »). Un encadrement inhumain, une infirmière froide et insensible, et capable d'une malveillance telle qu'on pourrait la mettre sans problème de l'autre côté, celui des gens à soigner. Ajoutez des infirmiers sadiques et une administration complètement hors course, vous aurez un tableau assez net de l'équipe A, les « docteurs ». Côté malades, ce sont plusieurs cas tous différents, atteints de troubles psychiques variant de l'un à l'autre, certains plutôt gentils, d'autres pouvant être facilement violents, d'autres taciturnes, chacun ayant à point nommé sa petite pilule censée lui apporter du réconfort. Pour les cas graves, le recours à l'électrochoc est bien sûr préconisé. Tout change le jour où MacMurphy, un nouveau « malade » fait irruption dans l'hôpital. Dans le film, il se fait interner volontairement pour échapper à la prison, ce qui n'est pas le cas dans le livre. MacMurphy, c'est un détonateur et un révélateur : il va réapprendre la dignité à ces rejetés de la société, et leur redonner conscience de leur propre personne, de leur propre situation, jusqu'à leur insuffler un esprit de révolte légitime. Jusqu'au moment où…
Le livre appelle bien entendu plusieurs lectures : où se trouve la « normalité » ? On s'aperçoit que du côté soignant, il y a autant de « cas » à soigner que chez les malades. Où se trouve la légitimité de l'autorité ? Certainement pas dans l'abus de la force et de la coercition sur des sujets en situation de faiblesse et de dépendance. Où se situe la légitimité de la révolte ? Et cette révolte, vaut-elle la peine d'être vécue, si le prix en est sa vie ou sa santé mentale ? le thème majeur pourrait être aussi la place de l'individu dans la société : chacun a sa place qui doit être respectée, et chacun doit respecter la place des autres, affaire de considération et de respect entre les personnes, et affaire de dignité. Ce qu'apporte MacMurphy à ses amis malades n'a pas de prix, non seulement il les révèle à eux-mêmes, en leur existence physique dans le groupe, et dans le monde, mais il leur ouvre les yeux sur leur propre dignité, et dans le même temps il dénonce l'indignité de leurs tortionnaires.
Vous avez été bouleversés par le film, vous le serez encore par le livre. Vous serez emportés par une vague de colère et d'indignation, et vous souhaiterez que Miss Ratched ne tombe pas entre vos mains, elle risquerait d'expérimenter sur elle-même ce qu'elle inflige impunément à ses dociles malades…
Et vous adorerez Grand Chef Bromden, peut-être le plus raisonnable et le plus sensé de tous les personnages du roman.