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Critique de Plumefil


J'aime retrouver la plume superbe, claire et subtile, de Yasmina Khadra et sa façon très personnelle de s'engager dans ses romans. Derrière le titre énigmatique "Qu'attendent les singes" se cache la facette la plus sombre de l'Algérie, pays cher à son coeur. Si la quatrième de couverture invite à entrer dans la trame d'un thriller politique, le contenu va bien au-delà d'une simple enquête policière.

Les principaux personnages sont, comme d'habitude, ciselés au scalpel khadraïen et portent, chacun, une image polymorphe du pays. La commissaire Nora Bilal présente deux "handicaps". C'est une femme chef de groupe et lesbienne, condition lourdement réprimée dans tous les pays d'Afrique. le lieutenant Guerd est de la trempe des hommes qui détestent être hiérarchiquement inférieur aux "gonzesses", donc il répugne à leur obéir. L'inspecteur Zine, empathique, a du mal à surmonter son traumatisme et s'évade parfois dans des paradis artificiels pour mieux supporter sa vie quotidienne.

Tels les trois mousquetaires, le trio, représentant les différentes facettes modernes d'un pays où les traditions sont institutionnelles, est complété par un vieillard omnipotent, loin d'être sénile, Haj Hamerlaine. Les caractères conducteurs posés, l'histoire peut s'enrouler autour, en explorant les dessous du vernis clinquant et dévoilant la corruption rongeant le système à tous les niveaux de l'État.

Sid-Ahmed, ancien journaliste littéraire de renom, clochardisé dans une vieille bicoque délabrée, est un ami que Zine aime rencontrer. Son regard lucide et acéré sur la société algérienne porte des avis emplis de sagesse et de philosophie. Il observe avec lassitude et abattement, Alger la Blanche se gangréner de noir profond. J'ai souvent senti le souffle de l'écrivain autour de Sid-Ahmed, comme un jumeau aimant passionnément sa terre natale, mais n'étant pas tendre avec ce qu'elle devient. C'est d'ailleurs de sa bouche qu'est extrait le titre du livre :"Qu'attendent les singes pour devenir des hommes ?".

L'enquête policière, bien que menée jusqu'à son terme, devient secondaire au réel sujet du livre. L'auteur s'en sert de tremplin pour dénoncer les complicités et les magouilles dans lesquelles trempent tous les maillons des institutions, du plus insignifiant fonctionnaire de police, jusqu'aux préfets, ambassadeurs, et même ministres, sous la coupe d'un magnat milliardaire, les agitant comme des marionnettes dans le seul but de satisfaire ses intérêts et son pouvoir. Malheur aux réfractaires ou ceux que, subitement, leur conscience torturerait !

Avec "Qu'attendent les singes", Yasmina Khadra livre une vision abrupte, sans concession ni fioritures, de la corruption que subit l'Algérie et les dégâts qu'elle supporte. Désabusé, mais non résigné, ce portrait est un magistral coup de poing dans une fourmilière en perpétuelle effervescence, où la droiture et la rigueur se confrontent aux préjugés et aux influences cyniques et malsaines dont il est très difficile de se dégager de l'emprise tentaculaire.

Je comprends l'espoir de renouveau que l'écrivain met dans l'avenir de son pays, cependant la chute, tout en répondant à mes aspirations, m'a paru trop idéaliste, comme une lueur dans l'océan de malhonnêteté et de manipulation menaçant de l'engloutir au moindre remous. Sinon, encore un très bon cru Khadra !
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