Que l'amour se mue en son contraire, qu'il devienne aversion, dégoût, voilà ce qu'il n'était pas prêt à comprendre, et encore moins à admettre.
Un écrivain qui venait de recevoir un exemplaire de son nouveau livre, un exemplaire tout frais, tout neuf, le montra fièrement à sa petite fille. « Regarde, c’est moi qui l’ai écrit », lui dit-il. Pour l’impressionner davantage, il lui indiqua son nom sur la couverture, au-dessus du titre. Fronçant les sourcils, elle s’écria, indignée : « Tu as copié tout ça ?» Il s’attendait à être admiré, il dut en rabattre.
Sa fille niait sa qualité d’auteur en assimilant son travail à une vulgaire copie, à une punition analogue à celle qu’on impose aux élèves turbulents.
Pire encore, il aurait subi une sanction bien plus grave : copier tout un livre, au lieu d’une ou deux pages. Mais ce qui paraissait le plus scandaleux à la petite élève, c’était de constater qu’il s’était prêté à ce jeu inepte de lui-même, par un acte volontaire et délibéré.
La seule façon pour moi de lire était de recopier...
Il est vrai que j'attendais le moment où je passerais naturellement à la rédaction de mes propres livres.
Je situais cependant dans un avenir lointain la réalisation de ce projet. J'avais l'impression que je ne méritais pas d'écrire, et l'idée de prétendre à l'originalité m'effrayait, comme si j'allais commettre une action condamnable tout ce qui se présentait à moi, c'étaient des phrases de livres que j'avais recopiés. J'étais habité par des paroles d'autrui. Incrustées dans ma mémoire, elles constituaient une richesse encombrante dont je n'arrivais pas à me débarrasser.