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Critique de si-bemol


De ces communautés et de ces femmes - les béguines - il reste peu de traces dans la pierre comme dans les livres d'histoire. Les anciens béguinages, pour la plupart d'entre eux, ont été rasés, remplacés par des couvents ou d'autres édifices, et L Histoire officielle, histoire d'hommes longtemps écrite par des hommes, a semble-t-il préféré oublier l'existence singulière de ces femmes résolument à part. Dans cette société virile du XIVe siècle où les femmes n'ont d'autre choix que de subir la volonté de leurs pères puis de leurs époux, d'autre fonction que celle de fortifier les lignées par la dot qu'elles apportent et la descendance (mâle) qu'elles assurent, ces communautés de femmes solitaires, solidaires, charitables, érudites et indépendantes sont infiniment dérangeantes.

Elles prient (beaucoup) mais ne sont pas consacrés à Dieu, elles sont chastes, elles n'enfantent pas mais ne sont pas des nonnes, elles pensent, lisent, écrivent, travaillent mais sans tutelle et en dehors du monde et de ses règles. Elles sont des figures du refus, tranquillement rebelles, à l'abri des hommes, de leur autorité et de leurs appétits, féministes avant l'heure. Leur existence, en dehors des cadres et des coutumes en vigueur dans le monde, est une possible menace pour le modèle social patriarcal, comme pour l'Eglise. Elles sont inclassables, hors d'atteinte. Elles inquiètent. Elles font peur. Et depuis le brûlement pour hérésie de la béguine Marguerite Porete et de son livre "Le Miroir des âmes simples et anéanties", la suspicion s'étend...

Avec "La nuit des béguines", Aline Kiner nous ouvre les portes de l'un de ces béguinages en plein coeur de Paris, dans le quartier du Marais, au sein de ce Paris troublé et plein de fièvre où Philippe le Bel exerce son pouvoir - et sa vengeance - contre les Templiers, où sur les bûchers dressés en Place de Grève brûlent les hérétiques, les opposants, les Juifs et les rebelles.

Chacun sait depuis “Les Rois maudits” (et d'autres historiens plus “sérieux”) combien le règne des derniers Capétiens fut convulsif et tourmenté, combien l'époque fut violente et rude. C'est dans ce contexte que nous pénétrons dans la vie de ces femmes - Maheut, Ysabel, Ade… - retranchées dans leur béguinage, “une citadelle pour les femmes”, chacune avec son histoire, son drame, ses espoirs et son destin. de la vie singulière de ce béguinage qui a réellement existé - fondé par Louis IX en 1264, condamné pour hérésie par le pape Clément V en 1314 - Aline Kiner dresse avec beaucoup de talent un portrait haut en couleurs et tout à fait passionnant.

J'ai suivi, sans plus pouvoir le lâcher, le récit de ces vies de femmes hors du commun, intelligentes, indépendantes, blessées et fières ; je me suis replongée avec bonheur dans ces années particulièrement tourmentées (1310-1314) qui furent aussi un tournant de l'histoire de France ; et je me suis régalée de ce magnifique tableau de Paris, dans l'effervescence de sa vie quotidienne, de ses bruits et de ses odeurs, toile de fond particulièrement réussie de "La nuit des béguines".

L'écriture est belle et très agréable, l'érudition n'est jamais pesante, les personnages sont bien incarnés et très attachants, le contexte historique admirablement restitué, et la fiction se mêle habilement au réel dans une construction tout à fait convaincante. Un excellent roman historique que j'ai lu avec beaucoup de plaisir, et que je recommande.

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
[Challenge HOMMAGE A NOTRE-DAME DE PARIS]
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