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Critique de Cannetille


De David Copperfield à Demon Copperhead… C'est après avoir visité la maison de Charles Dickens que Barbara Kingsolver s'est décidée à écrire sur ce sujet qui la hante : la pauvreté endémique qui, combinée aux ravages des opioïdes, décime la population rurale de sa région des Appalaches, laissant sur le carreau, comme le garçon au coeur de ce roman, des ribambelles d'orphelins promis à l'enfer sur terre.


« Tout le monde vous le dira, les enfants de ce monde sont marqués dès la sortie, tu gagnes ou tu perds. » Pour Demon Copperhead, le jeune narrateur contraint « de se mettre au monde tout seul » par une mère junkie gisant inconsciente sur le sol de son mobil-home, la naissance devait en effet s'avérer la prémonition de toute une vie à se battre seul contre le sort d'un monde méprisé et incompris : celui des « rednecks » ou culs-terreux, ces Américains pauvres et blancs des zones rurales, en particulier du Sud et des Appalaches, caricaturés par l'Amérique des métropoles en dégénérés ignares, alcooliques et violemment intolérants, dans les faits abandonnés par les pouvoirs publics à l'existence invisible de laissés-pour-compte de l'Histoire.


« Tout ce qui pouvait être pris a disparu. Les montagnes avec leurs sommets explosés, les rivières qui coulent noires. » Depuis que l'exploitation forestière, la culture du tabac et l'industrie du charbon ont entamé leur déclin, laissant derrière elles chômage, absence de perspectives et pauvreté, la région des Appalaches est exsangue. « Il n'y a plus de sang à donner ici, juste des blessures de guerre. La folie. Un monde de douleur, qui attend qu'on l'achève. » Alors, au marasme socio-économique est venu s'ajouter une catastrophe sanitaire. Attirés comme des vautours par la vulnérabilité d'une population, marquée dans sa chair par des emplois souvent usants et accidentogènes, mais sans guère d'accès aux soins médicaux, les fabricants d'opioïdes ont inondé la région d'« inoffensifs » anti-douleur, usant, comme les procès récents ont commencé à le révéler, de tous les stratagèmes pour promouvoir des produits éminemment addictifs, portes d'entrée aux drogues dures. Aujourd'hui, la Virginie occidentale bat le record des morts par overdose aux Etats-Unis. Environ un enfant sur quatre doit y grandir sans ses parents détruits par les stupéfiants.


Ces gens qui sont ses voisins, Barbara Kingsolver nous fait pénétrer dans leur tête et dans leur peau. Crédible et réaliste jusque dans la langue gouailleuse oscillant entre la naïveté et la trop grande lucidité d'un jeune garçon privé d'enfance, la narration de son parcours par Demon Copperhead nous confronte de l'intérieur au rouleau compresseur de l'injustice, de la souffrance et du désespoir. Laissé orphelin par la violence et la drogue, il va devoir se battre pour tenter de se construire malgré les défaillances du système de placement familial et les pièges de l'addiction. Heureusement, entre ses mauvaises rencontres et fréquentations d'une part, ses propres béances intérieures d'autre part, il trouvera aussi sur son chemin suffisamment de personnages magnifiques de force et de générosité pour contrer les préjugés et changer le regard sur ceux que l'on présente habituellement en bloc comme un affreux ramassis d'indécrottables arriérés.


Un grand, riche et très long roman, couronné du prix Pulitzer, qui fait comprendre l'humiliation de cette Amérique-là, emmurée dans ses difficultés au point de voir en sa peau blanche le seul dernier vestige de sa fierté et, en un certain Trump, l'espoir d'être enfin compris.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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