Demon Copperhead rêve de voir la mer depuis tout petit.
Normal pour un enfant de 9 ans. Mais le petit Damon (son véritable prénom) n'est pas né dans la bonne maison (d'ailleurs il ne vit pas dans une maison mais dans un mobil home), ni avec les bons parents (difficile puisque son père est mort et sa mère une junkie défoncée qui ne va pas tarder à faire une bonne overdose).
Alors, une fois sa mère morte, Damon, qui en avait déjà bien bavé, va se rendre compte qu'il n'avait fait jusque-là qu'effleurer la misère du monde, et que maintenant il va y être plongé jusqu'au cou.
L'océan qui l'attend c'est celui des malheurs. Seule bonne nouvelle, il ne périra pas noyé sous la vague, puisque que c'est lui qui nous raconte son histoire à la première personne d'un ton gouailleur, lucide et désabusé. Et puis Mrs Peggot, la vieille femme qui élève son petit-fils Maggot, le meilleur copain de Damon, lui a prédit qu'il était impossible qu'il se noie car il est né coiffé. D'ailleurs, son père étant mort noyé en sautant d'une falaise de la baignoire du Diable, Demon s'est fait la promesse de ne pas prendre de bains ni de périr sous les flots.
Ce dernier point nous apporte un petit motif de réconfort, car rien ne va être épargné au petit Damon balloté de pseudos familles d'accueil en combines foireuses.
Heureusement, de bonnes personnes vont venir parfois baliser son chemin, le rattraper par le col avant qu'il ne sombre complètement ou qu'il pense à se jeter du haut de la falaise.
Un roman-fleuve bien noir qui vous enfonce la tête dans cette misère crasse dans laquelle tous se débattent en tirant le diable par la queue, en se forgeant leur propre morale et repères pour survivre. Il suffit de tendre la joue droite pour s'en prendre une bonne sur la joue gauche, et puis on recommence.
Barbara Kingsolver signe un roman social extrêmement riche, dense, avec peu de temps morts. Si vous ne savez pas ce qu'est un redneck, alors lisez ce livre, vous n'aurez pas de meilleure définition de cette population blanche et pauvre de laissés-pour-compte de l'Amérique, prompte à voter et revoter Trump. J'ai été également édifiée par les ravages des différentes drogues (euh … médicaments) comme l'oxycodine qui se transforme en juteux business pour des groupes pharmaceutiques puissants et des médecins véreux.
Ce livre décrit minutieusement l'histoire de la Virginie Occidentale, sa population comme ses anciennes usines de charbon et cultures de tabac en faillite. J'ai également découvert le terme de melungeon, qui désigne une ancienne communauté métissée avec des origines européennes, africaines et indiennes, dont descend le père de Damon.
La galerie de personnages est foisonnante, pourtant on ne s'y perd jamais. Ce roman est également une immense et intense fresque de tous les sentiments humains.
Le lecteur ressort de ces 605 pages rincé, abattu. Pourtant, tout au bout, il y aura peut-être un espoir, et, qui sait, l'océan, je vous laisse découvrir par vous-même…