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Critique de Erik35


LE MIRACLE, C'EST MAINTENANT ?

Ce recueil de l'auteur et célèbre prix Nobel britannique Rudyard Kipling intitulé le Miracle de saint Jubanus est une sélection de sept nouvelles traduites pour la première fois en français par Jean-Pierre Richard et tirées du dernier ouvrage paru du vivant de son auteur, en 1932, titré en anglais "Limits and Renewals" et qui en compte originellement quinze, ainsi qu'un certain nombre de poèmes accompagnant chacune d'elles. Voici une description sommaire des sept nouvelles choisies :

► «Aurore manquée» est l'histoire d'un faux poème inédit de Chaucer, fabriqué par vengeance, pour remettre en cause la compétence d'un expert dans le secret espoir de le tuer, a minima intellectuellement. La nouvelle démarre sur un constat terrible (voir dans les citations) et tellement bien perçu par Kipling... La suite n'est malheureusement pas à la hauteur.
► «Tante Ellen» raconte les mésaventures alcoolisées de deux joyeux lurons ayant abusé de la boisson, renversé une vieille dame au volant de leur cabriolet puis fait passé cette-dernière pour la "tante Ellen" endormie à l'arrière auprès d'un policier pas trop futé.
► Dans «Touché des fées», il est question d'une jeune fille retrouvée morte en bord de route des suites d'un bizarre mauvais coup sur la nuque, d'un jeune homme, ancien amoureux de la demoiselle, rescapé de guerre et qui n'a plus toute sa tête depuis, d'un concours de circonstance des plus incroyables, et d'une critiques induite des méfaits de la première guerre mondiale sur les êtres.
► «Mutinerie à bord» conte l'histoire drolatique d'une imitation de mutinerie, réprimée dans de grands battements d'ailes, d'une théorie de perroquets, précieuses et bruyantes propriétés de plus de soixante-dix marins que l'un d'entre eux fut chargé de garer gardés à l'occasion d'une bataille navale, le bruit de la canonnade rendant les volatiles totalement muets et abrutis. Kipling y joue, en maître des mots, de sa connaissance profonde des choses de la mer pour retracer cette révolte incongrue.
► «Vues humaines» est le fruit d'une discussion entre trois navigateurs romains des débuts de notre ère - nous sommes aux alentours de 60 ap. JC - se remémorant une terrible tempête au cours de laquelle les deux qui s'y trouvaient crurent mourir, tandis que l'un de leurs prisonniers, un étrange vieux philosophe juif répondant au nom de Paul et souhaitant rencontrer César, ne perdit pas une seule seconde son flegme et promis même la survie à tous, y compris aux malheureux galériens enchaînés à fond de cale. L'histoire biblique retiendra que celui que l'on appellerait plus tard Saint Paul fit effectivement naufrage sur l'île de Malte, alors appelée Melita. Indubitablement la meilleure nouvelle de cet ensemble.
► «En amateur» décrit les retrouvailles de trois médecins et d'un astronome, anciens compagnons de guerre, l'un d'eux ayant hérité d'une très forte somme les mettant à l'abri du besoin et leur permettant ainsi de poursuivre de stupéfiantes expériences scientifiques dans le domaine de la recherche contre cancer. Les résultats, parfaitement imprévus, sont à la hauteur de leurs rêves et espoirs les plus fous.
► «Le miracle de saint Jubanus» se déroule intégralement dans un petit village du massif-central et, comme nombre d'autres nouvelles du recueil original, cette histoire traite de la "Grande Guerre" et de ses effets dévastateurs sur les individus. En l'occurrence, le curé de la paroisse de St Jubanus va tenter de ramener dans notre monde le seul survivant d'une famille meurtrie par le conflit, vivant, certes, mais totalement abruti et ailleurs. Les simples prières demeurant malheureusement infructueuses, le prêtre va faire dire une messe pour l'ancien soldat meurtri. Là, une scène aussi grotesque qu'inattendue dans laquelle un immense pébroque fait de baleines véritables va provoquer un élan d'hilarité parfaitement salvateur

C'est, habituellement, un plaisir confinant à celui d'une sorte de madeleine très proustienne que de découvrir et de lire un ouvrage de l'auteur de "Kim", des "Histoires comme ça" de "Le Livre de la jungle"; du somptueux poème "If" ou encore de nouvelles enthousiasmantes comme "La Plus Belle Histoire du Monde" récemment dégotée. Malheureusement, tel ne fut vraiment pas le cas pour ce recueil-ci, à l'exception d'une ou deux d'entre elles : Vues humaines et, moindrement, En amateur, puisque ce fut une longue épreuve mêlé à un ennui poli et légèrement épuisant qui gouverna à la lecture de ces sept morceaux pas vraiment d'anthologie. Kipling dont le style si fluide, si élégant d'habitude, même à travers le prisme de la traduction, si précis aussi, semble avoir adopté, sur ses derniers jours, une plume inutilement compliquée, baroque, empesé et qui s'échappe en permanence à l'attention très vite fatiguée du lecteur, même convaincu et assidu. Quant aux historiettes elles-mêmes, sans vouloir être trop rosse, on a du mal à les trouver palpitantes, et ce d'autant moins qu'elles sont totalement desservies par ce problème de style évoqué plus avant.

On est déçu, donc, car s'il est vrai que le Kipling des dernières années (après 1930) n'écrivait plus guère, publiait encore moins et reçu aussi bien de mauvaises critiques sur ces ultimes réalisations que son public s'amincissait années après années, on espérait que ce ne fut que selon les modes du temps. Or, il semblerait que ce Kipling-là avait peut-être déjà donné l'essentiel de son génie au seuil de la meurtrière première guerre mondiale... Y croit-on vraiment ? Difficile à affirmer tant son rares les traductions de ces productions de fin de carrière.

Ou bien faut-il remettre en question la traduction elle-même ? Difficile d'en rien dire sans le texte original en vis à vis. Quoi qu'il en soit, on ne peut que regretter, vivement, l'absence de tout appareil critique, même léger, d'une préface ou d'une postface, pour le moins, permettant d'abord de comprendre les choix du traducteur ou de l'éditeur : pourquoi cette sélection de sept nouvelles dans un ouvrage qui en comptait quinze ? Sur quel critère, avec quelle finalité ? Pourquoi en avoir retiré l'intégralité des poèmes accompagnant, dans une version ultérieure, certains de ces textes ? Autant de question qui resteront sans réponse et, avouons-le, c'est fort regrettable. Il n'est pas jusqu'au corpus de notes de fin d'ouvrage qui puisse échapper à la critique, tant il souffre d'imperfections, de redondances, de lourdeurs et de raccourcis insuffisants (en ce qui concerne les références religieuses, entre autre et à moins de se déplacer toujours avec une bible...). Les éditions Rivages poche nous ont habitué à des publications plus abouties.

Finalement, on se contera d'avoir eu l'honneur de découvrir un texte rare d'un auteur par ailleurs inoubliable. Cela ne fait décidément pas tout, mais c'est toujours mieux que rien...
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