C'est une journée de larmes. Une honte, a-t-il ajouté. Une honte qui nous déshonore tous.
Pourquoi si peu de mesures sont-elles appliquées pour mettre fin à ces tragédies ?
L'océan résonne de hurlements primitifs surgis des profondeurs, entre gargouillis et déchirements. Soudain, l'opticien reconnait la musique des mourants. Au sein de ce chœur tragique, il distingue chaque voix, entend chaque être. Chacun supplie qu'il lui vienne en aide.
Ces naufragés flottaient entre la vie et la mort. En tenant leurs mains dans les siennes, en les regardant reprendre leur respiration sur le pont du Galata, il a su qu'il touchait l'essence même de la vie.
Il avait toujours su où il allait. Depuis ce jour, il a la sensation que ses certitudes ont volé en éclats. Comme si une part de lui-même était restée là-bas, avec ceux qu'ils n'ont pas pu sauver.
A l'intérieur du hangar, des cercueils identiques sont alignés avec une précision militaire. [...] Devant cette scène macabre sont posés quatre minuscules cercueils blancs. Ils sont décorés d'un ourson en peluche[...].
Il ne sait s'il aura le courage de rester pour la cérémonie.
Nous portons tous dans nos cœurs une tendance à la cruauté et une indifférence latente. Nous sommes tous capables de commettre des atrocités.
En retirant son ciré, l'un des pêcheurs a expliqué ne plus pouvoir supporter son métier, quels qu'en soient les bénéfices. Il a décidé de prendre une retraite anticipée pour rejoindre la famille de son fils à Palerme. Ce n'est pas uniquement la peur de se retrouver en pleine mer au milieu d'un naufrage de migrants, admet-il. C'est aussi la peur de ce qu'il risque de trouver en remontant ses filets.
L'étrange miaulement des mouettes se perd pendant quelques secondes. La mer se tait, immobile. Mais, un instant plus tard le vent renaît, chargé de ces cris surnaturels, comme une meute qui hurlerait d'une seule voix. L'opticien frissonne malgré lui.
A propos de l'enterrement des noyés au large de la côte de Lampedussa
Pour ce moment solennel, ils sont vêtus des fripes distribués par le centre d'accueil et ont l'air presque aussi déguenillés qu'à bord du Galate. La plupart ont des maillots à l'effigie de clubs de foot italiens dont ils n'ont sans doute jamais entendu parler. Ils ont aux pieds des baskets usées et les derniers servis se sont contentés de claquettes dépareillées.L'un des hommes porte une paire de chaussons en fourrure dont le pompon manque au pied droit. Ici, ce tableau est si pathétique qu'il n'a qu'une envie : ôter ses propres chaussures pour rendre à cet homme un semblant de dignité.