Si l'on doit me marcher dessus, être un chien vaut mieux que d'être un homme!
-- Etre rejeté, repartit Kohlhaas, la main crispée, c'est, à mes yeux, se voir refuser la protection des lois, car j'avais besoin de cette protection pour la prospérité de mon paisible commerce; oui, c'est pour l'obtenir que je me suis réfugié auprès de cette communauté avec tout ce que j'avais acquis et qui me la refuse, me refoule dans les sauvageries de la solitude et me met en main, comment pourriez-vous le nier ? la massue qui me protège moi-même.
Sur les bords de la Havel, vers le milieu du XVIème siècle, vivait un marchand de chevaux du nom de Michael Kohlhaas, fils d'un maitre d'école.(...) force eût été au monde d'honorer sa mémoire, s'il n'avait passé les bornes d'une vertu : le sentiment de la justice en fit un brigand et un meurtrier.
Jusqu’à sa trentième année, cet homme extraordinaire aurait pu passer pour le modèle du bon citoyen. Il possédait un bien dans un village qui porte encore aujourd’hui son nom, et y vivait paisiblement du produit de son métier, élevant pieusement les enfants que sa femme lui donnait, et les instruisant dans l’amour du travail et de la probité. On connaissait à la ronde son profond amour de la justice, et tous ses voisins louaient sa charité dont ils avaient plus d’une fois éprouvé les bienfaits. En un mot, le monde aurait béni sa mémoire sans les circonstances qui l’amenèrent à pousser à l’excès une seule vertu, le sentiment de la justice, et en firent un brigand et un meurtrier.