Le basalte bleu

C'est exactement comme au cirque ou au cinéma! Dit-il amèrement. Ces gens ne savent pas ce qu'ils font ! Ils n'ont qu'un seul désir : voir une série d'objets curieux et rares. Et il y a là-bas une femme incapable de protéger la paix et la solitude où elle repose. Si une bande d'Arabes ou de Chinois venaient déterrer les gens qui sont à Westminster Abbey, le monde entier crierait au sacrilège. Et ici, n'est-ce pas aussi un sacrilège ?
Mon cher, ici, c'est de la science, dit ironiquement Cable.
Au diable la science ! Nous sommes censés être des civilisés et vivre un âge humanitaire. La vie humaine est sacrée ; il faut à tout prix la protéger. Un âge de tolérance ! On nous en parle comme des grandes découvertes du siècle. Pour moi, ce n'est pas assez. Si nous protégeons les vivants, il nous faut aussi protéger les morts !

Le Ramadan était passé. Le soleil de la Haute-Égypte brûlait, impitoyable. Le jour, le ciel semblait un bol de métal poli, et le Nil, lourd comme un fleuve de mercure, serpentait dans un pays sec et poussiéreux.

« Elle est merveilleuse, pensa-t-il. Elle possède un genre de beauté naturelle, étrange, qui doit s’exercer sur tous ceux qui la regardent. »

Il avait rangé dans sa malle un très important papyrus, l’avait placé dans un tube isolant, mais il ne l’avait pas photographié. Qu’adviendrait-il s’il se perdait, s’il était détruit ? Cette pensée fit perler des gouttes de sueur froide sur son front. Le sarcophage était ouvert, un inestimable trésor était mis au jour et il n’avait pas remué le petit doigt pour en informer le gouvernement égyptien, l’Institut ou Mayer. Il avait violé, non seulement toutes les règles que doit respecter un égyptologue, mais encore les contrats de la concession. Il n’avait même pas le droit d’ouvrir une tombe en l’absence d’un fonctionnaire du gouvernement. S’il prévenait maintenant les personnages officiels, il serait déjà trop tard, et il serait chassé du pays comme un voleur.

En un éclair, il se trouva reporté dans un passé infiniment lointain, étendu dans une chambre sombre, convulsé sous l’effet d’un poison mortel. Il appelait et nul ne répondait. Il arracha de sa tête l’Uraeus et l’écrasa entre ses doigts. L’agonie dura des heures ; enfin il fut libéré de la vie. Avec volupté, il s’évada de sa chair, il plongea dans la nuit froide comme le royaume des glaces. Libre et nu, il flotta dans une triste solitude, jusqu’au moment où il rencontra d’autres spectres pareils à lui, d’autres habitants de l’au-delà. Il se joignit à eux pour un voyage à travers des distances infinies. Une force invisible s’empara de lui et l’entraîna vers une lumière éblouissante. Cette marche était si rapide qu’il ne pouvait en évaluer la vitesse. Il allait le long des rayons de lumière plus lourds que lui. Il les pénétrait. Un Être sublime le rejoignit. Il parla, sa voix était celle d’un homme, mais sa face était couverte d’un torrent de clarté.

Walter souffrait de lui voir faire ses confidences à Isis. La princesse vivait au milieu d’une série ininterrompue de scandales ; elle possédait toutes sortes de vices raffinés. Son plus vif intérêt, dans la vie, était l’amour : elle ne s’en cachait pas. (...)
« Je ne comprends pas le chinois, et je ne crois pas au surnaturel. Je suis païenne, mais non superstitieuse. Je ne crois qu’en cette vie. J’aime vivre à pleine chair, à plein sang, et je laisse l’esprit agir comme il veut. Tout ce qui demeure de spirituel en moi, c’est le culte de la beauté. Pour moi, elle passe avant tout et je ne lui résiste jamais. Puisqu’elle ne peut résider tout entière en moi, je la vénère chez les autres. Elle est comme un fluide d’or qui nous traverse et nous renouvelle. Je voudrais la boire toujours pour ne jamais vieillir. »

— La vie m’enivre, dit-elle. Je ne veux rien que vous regarder à jamais. Parlez-moi des grands dieux et des royaumes passés. Chaque jour est un don précieux, et, chaque jour, il nous faut nous préparer au voyage de l’au-delà !

« Mon Dieu, comme il est sérieux, ce jeune égyptologue, mais comme il est beau », fit observer Mlle Papasian à Mlle Omali d’un ton vaguement désespéré !

Un vague malaise l’envahissait. Des profondeurs de son âme semblait s’élever un être étrange qui étendait autour de lui d’invisibles antennes, venait d’entrer en contact avec une présence repoussante.

À l'aube, Walter ouvrit les yeux. Tout d'abord il ne comprit pas où il se trouvait. Dans ses bras, il tenait quelque chose de doux et de chaud. Il se souleva doucement, et, dans la lueur du jour naissant, vit une femme étendue à côté de lui. Stupéfait, il retint son souffle. La vue de ses seins délicats, de ses membres, le transporta d'admiration. Et quel visage ! Des lèvres écarlates, un nez fin, légèrement aquilin, dont les narines roses palpitaient, des joues d'un rose doré, des cheveux noirs comme l'aile du corbeau, flottant autour d'elle en innombrables nattes minces.