Rue JB, mon beau-père organisait ma joie, m𠆚pprenait à respirer. Il me faisait faire mes devoirs et m𠆞nseignait le jeu. Poker, black jack, tarot, belote. Mon beau-père m𠆞mmenait aux concerts de Johnny Hallyday. Il me faisait écouter des morceaux de piano, il m’inscrivait au tennis et me lisait des passages de ses polars préférés. Il me proposait de prendre part à leurs débats politiques. Consensus et dissensus. Peu importait l’âge, chaque point de vue était respecté tant qu’il était argumenté. Et il aimait tellement ma mère, ma tante et ma grand-mère. Il avait tout compris, tout conquis. Rue JB, mon beau-père remplaçait mon père.
Depuis mes 14 ans, le reptile ne cesse de me torturer. Ce monstre qui vit en moi et qui rejaillit dès que je crois respirer. Cette hydre qui distribue ses attaques au fil du temps, sans jamais que le poison premier ne se dissolve dans le dernier. Son venin s'accumule; les morsures ne se succèdent pas, elles se superposent.
Camille Kouchner, la Familia Grande
Pour un enfant intelligent, rien ne doit être surprenant. Colin est un jeune adolescent quand ma mère lui envoie une de ses copines, une Sanaryenne dévouée, pour le déniaiser. Vingt ans de plus que lui, on va s'gêner ! Mon frère est flatté mais largement effrayé.
Moi, encouragée par les parents, depuis petite je masse les plus grands. Pendant des heures, des après-midi entières, à la piscine, dans le dortoir, dans les champs, je caresse, gratte, soulage les tensions.
Plus tard, l'une des enfants me racontera : "A Sanary, j 'avais 12 ans quand ton beau-père est venu me rouler une pelle derrière le dos de mes parents. Et je n'ai rien dit."
Croire qu'on a de la chance d'être ainsi entourés.
P114.
Quand j’ai six ou sept ans, je dévore la comtesse de Ségur. Elle se fout de moi : « Camille et Madeleine sont des nunuches. Il n’y a que Sophie qui vaille le coup. S’il te plaît, planque-toi, quand tu lis des trucs pareils ! »
Les garçons que je choisis sont des étoiles filantes. C’est ma condition. Aucun n’est autorisé à s’arrêter. Aucun n’est autorisé à creuser. Leur indifférence est, pour moi, la seule marque de respect.
Ma culpabilité est celle du consentement. Je suis coupable de ne pas avoir empêché mon beau-père, de ne pas avoir compris que l'inceste est interdit.
Je me suis renseignée: la liberté coûte cher, ce n'est pas une nouveauté.
page 39.
Mais je le voyais: mon frère n'y était pas. Sur le long chemin de la reconstruction, les victimes se croient longtemps coupables.
Il m’apprenait qu’autorisé » et « interdit » relèvent d’une affaire personnelle.
« Le monstre est pervers. Il diffuse des contre-vérités : « Ce n’est pas ton combat. Simple dépositaire d’un secret d’enfant, tu n’as pas le droit de te plaindre. À toi, il n’est rien arrivé. Tu n’a aucune légitimité. »