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Critique de HordeDuContrevent


Après une lecture un peu décevante, avant de passer à un autre livre contemporain, qu'il est bon de retrouver un de ses maîtres. En l'occurrence, Milan Kundera. Une douce transition. Un de mes rares Pleiade, vénéré, le premier roman de ce bel objet, l'immortalité, lu une quatrième fois. Un roman de Kundera, particulièrement ce roman-là, l'immortalité, fait toujours l'effet d'une grosse mamelle nourricière où je retrouve un breuvage fort et énergisant. Un retour aux sources régulier depuis mon adolescence. Pas une page sans une réflexion approfondie, pas une page sans découvrir un détail qui m'avait échappé à la lecture précédente. Des pages fines et veloutées à caresser, truffées de fils sur lesquels tirer. Un roman et un laboratoire du roman dans lequel l'auteur vient s'asseoir à nos côtés pour nous parler, nous prendre à témoin, nous montrer comment il s'y prend, se poser même en protagoniste à l'intérieur même du roman, l'histoire étant bien moins importante que ses réflexions, les questions posées, et sa façon de faire émerger ses personnages. Prenons Agnès, le personnage principal du roman, qui nait littéralement sous nos yeux grâce à un geste, un seul geste, que Kundera, alors à la piscine, voit. le geste délicat et coquet d'une jeune femme effectué par une vieille dame à son maitre-nageur. Un geste qui a pris possession de cette femme, un geste enfoui en elle, un geste d'antan, essence de son moi profond pense l'auteur de prime abord, ce geste fait naître le personnage d'Agnès. Agnès et ses difficultés de la vie en société, Agnès et son amour de la solitude.

Le roman interroge sur l'identité, sur le moi profond (la première partie du roman, le Visage, est magistrale dans cette interrogation… ce fameux geste, n'est en fait pas l'essence d'Agnès, les gestes prennent possession de nous et pas l'inverse analyse l'auteur) et bien entendu dissèque, au scalpel, cette fameuse immortalité. L'homme peut mettre fin à ses jours mais il ne peut mettre fin à l'immortalité. l'immortalité est-ce ce qui se passe après la mort ? Est-elle de retrouver toutes ces femmes bavardes et caquetantes ailleurs (une punition pour Agnès) ou est-ce quelque chose de différent, soustrait au regard des autres ? Est-ce de pouvoir passer l'éternité avec des âmes amies, des âmes proches (Goethe et Hemingway réunis par exemple) ? l'immortalité, dans sa version plus profane, est-ce ce qui reste de quelqu'un dans le monde des vivants, dans la mémoire de la postérité ? Pour Kundera, « tout un chacun peut atteindre cette immortalité, plus ou moins grande, plus ou moins longue, et dès l'adolescence chacun y pense ». Mais face à l'immortalité, les gens ne sont pas égaux et l'auteur distingue la petite immortalité (souvenir d'un homme dans l'esprit de ceux qui l'ont connu) de la grande immortalité (souvenir d'un homme dans l'esprit de ceux qui ne l'ont pas connu).

Petite ou grande, l'immortalité peut-elle donc se façonner, se préparer, de son vivant comme souhaite le faire avec persévérance la jeune Bettina avec le déjà âgé Goethe, malgré lui, faire passer à la postérité, même de façon erronée et factice, une histoire d'amour telle qu'elle sera précisément éternelle et donc immortelle (2ème partie du roman, intitulée l'immortalité) ? Mais cette immortalité ne se réalisera jamais telle qu'elle a été planifiée, prenant parfois la forme d'anecdotes tragiques ou cocasses.

l'immortalité est une façon de laisser une trace de son moi, de son identité, de l'imposer aux autres. D'imposer son unicité. En étant absolument unique, on devient immortel. La théorie de Kundera en la matière est savoureuse, je pense souvent à lui lorsque je vois des personnes affirmer haut et fort « adorer » ou « détester » telle ou telle chose. D'un ton péremptoire. Selon l'auteur, il existe deux façons de s'affirmer. La méthode additive et a méthode soustractive. Cette dernière « soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher de sa pure essence (et courant le risque d'aboutir à zéro, par ces soustractions successives) ». La méthode additive, elle, consiste à « ajouter sans cesse de nouveaux attributs, auxquels la personne tâche de s'identifier (en courant le risque de perdre l'essence du moi, sous ces attributs additionnés) ». « Tel est l'étrange paradoxe dont sont victimes tous ceux qui recourent à la méthode additive pour cultiver leur moi : ils s'efforcent d'additionner pour créer un moi inimitablement unique, mais devenant en même temps les propagandistes de ces attributs additionnés, ils font pour qu'un maximum de gens leur ressemblent ; et alors l'unicité de leur moi (si laborieusement conquise) s'évanouit aussitôt ». Voilà ce que j'aime chez Kundera, cette façon de mettre en mot ce que je peux ressentir confusément. Chaque page contient de telles réflexions. C'est lumineux et peut être interprété et vécu de façon différente au fil des années. Cette affirmation de son moi profond, surtout lorsque ce moi possède des contours peu nets, passe par de petits mots passant la postérité (voyez les hommes politiques) et des gestes, ces fameux gestes du désir d'immortalité qui permettent d'affirmer son moi.

Atteindre l'immortalité est une lutte (La lutte est le 3ème chapitre du roman). Une lutte pour rester dans le coeur des êtres aimés, voire de l'être aimé. Jusqu'au suicide pour certains. Jusqu'au don de soi. En se dépassant soi-même soit pour faire partie de l'Histoire, mémoire éternelle, soit au moins pour rester dans la mémoire de ceux que l'on a connu

Enfin accéder à l'immortalité suppose d'être regardé, vu car ce sont les autres qui permettent d'atteindre l'immortalité, du moins cette immortalité profane qui s'oppose à l'immortalité sacrée. Les multiples visages de l'immortalité, l'immortalité sacrée étant peut-être justement ce « là-bas, où il n'y a pas de visage » auquel Agnès aspire tant et qu'elle finira par atteindre (dans le chapitre le Hasard).

Un roman magistral qui ne cesse de me suivre aux différents âges de mon existence en prenant à chaque fois une signification particulière.

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