D’abord
ils ont coupé
le cordon ombilical
pour des raisons naturelles
Ensuite
ils ont coupé
le prépuce
pour des raisons d’hygiène
Enfin
ils ont coupé
la langue
pour des raisons de sécurité
Toi Cosette moi Gavroche
aux jeux de récréation
les Misérables c'était nous
en classe de français
nous ânonnions ton nom
Liberté
sur le cahier d'écolière
hum
ni Hugo ni Eluard
n'ont écrit un seul mot
pour nous autres
poussières de colonisées
J'ai des rêves de mailles serrées
d'un tapis noué main
qu'on oublie de secouer
Qu'arrivent-ils aux paroles qu'on ne prononce pas
rouillent-t-elles sous la langue ?
Il s'agit de quitter les pays
légère
valise en soute
sac en cabine
le reste
n'est pas déclaré
le reste n'a pas de bagage
à sa taille
l'avion décolle
les bagages intimes
tombent en pluie
de leur cachette
Tu m'as dit
Viens petit
La terre nous est étroite
allons à la mer
grimpons sur la vague
en sens inverse
des nuées d'oiseaux
qui partent en vacances
nous squatterons à leur place
un nid encore tiède
nous ferons ensemble
des rêves d'hirondelles
La terre nous est étroite
mais la mer nous vomit
et nous étale sur le sable
Au pays de l’amante imaginaire…
Au pays de l’amante imaginaire
les frontières fuguent
vers les collines abandonnées
rêve des lignes de front
des apatrides comme nous
figues dattes olives
déroulent nappes d’en-cas
au pied de l’arbre de solitude
les coquelicots suivent
la danse des tournesols
Toi qui erres
je t’attends au no man’s land
de l’amante imaginaire
viens avec tes rêves tes blessures
j’ai préparé une gelée
des fruits tombés
du figuier tourmenté
Toi qui n’a plus de nom
viens je te raconterai
les confidences des épis de blé
aux fleurs de pavot
bribes épargnées par le vent
Tu étendras tes peines
sur le talus de la lessive
quand ils seront secs
nous les rangerons
sous le rocher de l’oubli
Au pays de l’amante imaginaire
les frontières jouent à semer
chasseurs de fugitives
là un abri
creusé dans un tronc
avec un vieil écriteau
tu sauras peut-être
le déchiffrer