Je renoue avec autrefois... Non pour nourrir ma nostalgie, comme je l'ai cru en arrivant, mais plutôt pour redécouvrir mes parents tels que les voyais petite : jeunes, beaux, débordants de vitalité et d'intelligence. J'ai voulu les arracher un court instant à la gangue de la vieillesse et de la décrépitude. Ainsi font ceux qui, sentant la mort approcher, redonnent vie à leurs parents disparus, en ravivant leur mémoire. Alors, ils n'entreront pas seuls dans l'ailleurs; alors, accompagnés par ceux qui leur ont donné vie et les ont précédés, ils auront moins peur. (p. 174)
Comédienne, c'était bien : j'exercerais un art à ma mesure, qu'il ne faudrait ni créer, ni inventer. Au fond, je partageais la misogynie de certains amateurs de théâtre - disparus aujourd'hui - qui comparaient les comédiennes à de charmants volatiles sans cervelle. (p. 109)
Pourquoi les gens âgés, qu'ils soient écrivains, artistes, poètes, raniment-ils leurs souvenirs d'enfance, de jeunesse, quand ils vieillissent ? À quoi tient ce besoin de sonder sa mémoire et de la confronter à la réalité ? Pourquoi ces bribes du passé restent-elles plus précises, vivantes, que les plus récentes ? Pour des raisons purement physiologiques de destruction progressive des cellules ? Cet argument ne suffit pas. (p. 96)
Tous les crématoriums sont construits à proximité des grandes voies de communication - pas de perte de temps pour dire adieu aux défunts - et aux abords des zones industrielles, loin des vivants, tant l'homme moderne tient la mort à distance comme il peut. (p. 66)
Comme la mode est récente, la plupart des crématoriums ressemblent à des maisons Phénix transformées en salles de mairie, constructions modernes toutes plus laides les unes que les autres, avec béton froid, carrelage aseptisé, fleurs en plastique posées dans de faux pots. Ces temples insipides, sans sacralisation, d'une mort déshumanisée, me répugnent, je suis sûre que le funérarium de Bordeaux ressemble à ceux de Pau, Tarbes, Bruxelles, du Mont-Valérien ou de Cannes, bref à tous ceux que je connais déjà au gré des disparitions de mes familiers, amis, connaissances. Des lieux sans âme ni solennité, où la douleur n'est que plus dure à supporter. À croire que le mot "enterrement" va devenir impropre. (p. 54)
Ce sentiment de honte, je le ressens toujours dans ces manifestations littéraires où je ne m'estime pas à ma place. Il y a du monde pour venir me voir, certes, mais je devine les badauds surtout, attirés par le label "Vu à la télé" plus que par le désir de découvrir les livres que j'écris. (p. 45)
Les sommeils sans rêves des ivrognes et des peureux sont les mêmes. (p. 35)
Retour à Bordeaux. Non pas pour moi, ni pour tous ceux que j'ai aimés ici dans ma ville. Ils sont morts, ou ont quitté la ville, ou n'ont plus donné de leurs nouvelles. Nous nous sommes perdus de vue. Depuis plusieurs années, je ne vais plus à Bordeaux qu'en rêve. Et puis voilà, Claude est mort. Alors, j'y reviens juste pour la journée, pour l'accompagner au cimetière. Un autre chapitre s'achève. (p. 15)
Yvan ressemble à son fils.Lui aussi s'est construit un être imaginaire forcément différent de celui de la réalité.
Au fond sa mort n'a aucune importance...C'est ça l'insupportable.Elle ne détruit rien parce que tout avait déjà été détruit avant.