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Critique de Lucilou


D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours adoré les contes et ma bibliothèque d'enfant en débordait : contes traditionnels classés par pays et par régions, recueils illustrés et simplifiés des contes des seigneurs Perrault, Grimm et Andersen, albums enluminés d'éditions plus ou moins vintage hérités de mes cousins et cousines… Et puis, j'ai été infiniment chanceuse : ces histoires-là, je me les faisais lire, raconter… Et mon père, ce héros, se passait même des livres pour se faire conteur et m'offrir toutes ces histoires. Quant à ma mère, faisant fi des récits déjà existants dont elle s'était lassée et qu'elle trouvait parfois poussiéreux, elle inventait pour ma soeur et moi ses propres contes.
C'est un peu pour tout cela à la fois que je n'ai jamais cessé de les aimer… D'autant qu'en grandissant, j'ai découvert la part sombre et tourmenté de ces récits grâce à un professeur de lycée, grâce aux albums de Malicorne, grâce à la Bretagne et à mon obsession pour le folklore, l'oralité… Alors, oui je l'avoue, ma préférence va vers les contes traditionnels mais je voue un culte, rien de moins, tout de même , à la très sainte Trinité Grimm, Andersen et Perrault . J'ai un faible pour les premiers et le troisième m'a parfois rebuté avec son habillage Grand Siècle d'histoires moins précieuses. Quant au second… C'est tout de même étrange de faire des récits d'Andersen des contes, au fond, ils n'en sont pas. Pas vraiment. Quoique… Mais quelle poésie, quelle grâce ! Beauté et cruauté mêlées pour des histoires romantiques indéfinissables, qui ne peuvent appartenir qu'à leur auteur. Petite, j'aimais infiniment « Cinq dans une cosse », « Les souliers rouge »… « La petite fille aux allumettes » me torturait mais qu'est ce que j'aimais me la faire raconter ! Quant à «  La Petite Sirène », c'est peu de dire qu'elle m'a traumatisée (un traumatisme au moins équivalent à celui occasionné par la lecture de «La Rose et le Rossignol » de ce cher Oscar Wilde!). Moi qui avait été biberonnée à la version (que j'adore!) de Walt Disney, j'ai bien cru de pas me remettre de la Petite Sirène d'Andersen et de sa mélancolie, de son désespoir…
Pourtant, j'ai bien fini par en guérir et pire que tout : j'ai aimé à retomber malade tant je l'ai lu et relu, tant je l'ai aimé. Pour ce désespoir et cette mélancolie justement…
Ainsi quand mon peintre et dessinateur préféré a annoncé qu'il illustrerait « La Petite Sirène » pour la collection de classiques illustrés qu'il dirige (et pour laquelle il a déjà enluminé un « Bambi » absolument sublime), je n'ai eu de cesse d'attendre l'ouvrage en question.
L'attente fut longue mais quand on tient entre les mains le joyau qu'est «La Petite Sirène » illustré par Benjamin Lacombe pour Albin Michel, on ne peut que se dire que cela en valait la peine.
Comme toujours, le livre est une véritable merveille, soignée, élégante et ses illustrations sont un cadeau d'une grâce absolue, mêlant à la beauté la plus pure un rien de douleur, le blanc des peaux à la flamboyance des couleurs qui se déploient, vibrantes, violentes, lumineuses. Je conçois qu'on puisse ne pas aimer le style de Benjamin Lacombe, très romantique et parfois sombre, empruntant autant à Tim Burton et à ses amours gothiques qu'aux préraphaélites mais on est bien obligés d'admettre que ces traits-là ont une vraie singularité, qu'ils ne ressemblent à aucun autre et que c'est de cette étrangeté là que viennent leur poésie et leur beauté… Et puis, ils vont si bien à Andersen…
J'aurai pu rester des heures à contempler chacune des illustrations qui habillent l'ouvrage, à me perdre dans les paysages du royaume du roi des Mers, à admirer ses filles aux chevelures enchevêtrées, à me sentir envoûtée par la beauté fascinante et ténébreuse du prince, à attendre le cri d'un oiseau face au château où à tout oublier dans le flamboiement du crépuscule incendiant la surface de l'océan. J'aurai pu me noyer dans le bleu et le violet, dans le pantone rose fluo aussi surprenant qu'hypnotique tant la beauté du livre et de ses illustrations coupent le souffle…
Outre les images, il y a le texte aussi. « La Petite Sirène » n'est pas une énième version illustrée du conte qu'on aurait abrégé pour l'occasion, croyant devoir réserver pour des éditions de poche ou dites « adultes » le texte intégral. C'est là d'ailleurs tout le sel de cette collection dont le désir et le projet sont de présenter à un lectorat différent des classiques dans ce qu'ils ont de plus exigeants mais de manière différente, moderne… Ainsi, ici, c'est le texte complet d'Andersen qui nous ait offert dans toute sa beauté, dans tout son romantisme et dans une traduction à la fois fluide et très littéraire. Ce fut pour moi un tel plaisir de retrouver la petite sirène, son père, ses soeurs, ses rêves d'ailleurs et son impossible amour. Quelle joie de relire cette histoire, quelle joie – étrangement – d'en ressortit à nouveau si triste, si pleine de larmes et d'émerveillement… Je suis toujours poignardée par cette fin et j'ai toujours mal pour elle voyez-vous...
Et puis, cette version propose une fin inédite, biffée par Andersen qui donne une lumière nouvelle au récit, tout comme le regard nouveau porté par Benjamin Lacombe sur cette histoire qui à bien des égards pourrait aussi être celle de son auteur. Agrémenté d'une préface et d'une postface qui font la part belle à l'analyse de l'oeuvre du conteur danois ainsi qu'à sa biographie, « La Petite Sirène » se fait récit intime, plaidoyer déchirant quant à l'identité, cri d'amour et de douleur. Bien sûr qu'on peut lire ce texte universel et gracieux sans l'aide cette clef, bien sûr qu'elle ne change rien. Mais elle est là, la clef, et ce qu'elle dit m'a rendu la petite sirène encore plus belle et déchirante , parce qu'emplie de signification, d'une signification à laquelle Andersen aurait peut-être bien voulu qu'on prête attention.
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