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Critique de AtelierdeClaire


J'aurais mis plus de temps à « digérer » ce très court roman, presque une nouvelle, qu'à le lire.

Nous sommes dans les années 1960, dans une vallée reculée du Cantal, où la vie tourne autour des saisons, des fenaisons et de la traite des vaches pour fabriquer le Saint-Nectaire.
C'est la campagne, la ruralité, dans ce qu'elle a de plus noble… mais aussi de plus terrible parfois. Car derrière les murs se trament aussi des drames.

On s'en rend compte dès les premières pages, quelque chose ne tourne pas rond dans cette ferme isolée où vit un jeune couple récemment installé avec leurs trois enfants. Il y a un malaise, une oppression, une détresse, une absence de joie…

Ici les silences en disent plus long que les mots.

« Elle », la mère, dont on ne saura pas le prénom, a été mariée très jeune, selon la tradition fréquente de l'époque, à un jeune homme du village voisin. Malgré le manque d'amour, naissent dans la foulée trois enfants en trois ans. Elle manque d'expérience et d'organisation. Elle se laisse déborder, se laisse aller. Et c'est une véritable descente aux enfers…

Car « Lui », le père, taiseux, égoïste, maniaque et tyrannique, ambitieux et acharné de travail, ne supporte pas cette femme « molle » qu'il n'aime pas et considère comme une incapable, comme « un boulet », « un poids mort », « toujours enceinte » ... Et il pleut des mots durs , des mots méchants et qui blessent, mais pas que des mots… sans regrets ni remords, sans remise en question.

Et c'est la peur qui domine.

Autour d'eux, on voit, on sait, on se doute, mais personne ne dit rien.
Là encore, c'est le silence, un silence qui donne envie de hurler, mais qui étouffe tout.

Car il faut garder la face, faire semblant, tenir son rang, devant les familles, devant les autres villageois. « Elle » a sa fierté et son orgueil aussi et certaines choses ne sont pas faciles à avouer.

L'ambiance est lourde, pesante. Les enfants sont témoins de tout ça…
On sent toute la rudesse, l'âpreté de ce monde paysan, et aussi les rancoeurs, les souffrances de ces vies terrorisées, meurtries, saccagées.

Il y aurait bien un peu de Giono dans l'évocation de cette campagne et de cette vie rurale… Mais en combien plus sombre et plus désespéré.

Avec une plume sobre, percutante, pour ainsi dire parlée, Marie-Hélène Lafon ne s'embarrasse pas de circonvolutions et va à l'essentiel, à l'image des gens de ce rude pays qu'elle évoque. Elle nous emporte au fil d'un long monologue, tantôt porté par la voix de la mère, puis plus brièvement par celle du père ( qui laisse imaginer le plus indicible…), pour finir par celle de la fille cadette, des années plus tard, dans un épilogue très émouvant et plein de résilience.

Le plus magistral à mes yeux, dans ce roman, c'est la place faite aux non-dits. Ils sont partout, puissants et douloureux.
Il y a ici presque plus de contenu dans ce qui nous est laissé à deviner et interpréter que dans les écrits eux-mêmes. C'est l'art de la suggestion qui fait la grande force de ce texte.

Ainsi, nous comprenons qu'à l'origine de chacun, il y a les Sources, dont le flot façonnera les devenirs. Les Sources sont parfois faites de traumatismes, de peurs et de blessures… et elles continueront à couler tout au long de la vie.
Un roman très fort qui m'a profondément marquée.
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