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sur 1150 notes
Ce court roman d'une petite centaine de pages plonge le lecteur dans le décor champêtre du Cantal, au début des années 60. C'est là, dans une belle ferme, moderne pour l'époque, que vivent une mère, son mari et leurs trois enfants. Au fil des pages, Marie-Hélène Lafon dresse le portrait d'une famille d'agriculteurs en trois actes, où chacun va recevoir la parole sur une période allant de 1963 à 2021.

Une chronique familiale narrée à trois voix qui débute pourtant dans le silence. Sieste du mari oblige, tout le monde se tient à carreaux, surtout la mère, qui profite de ce petit moment de répit, avant que reprennent les brimades et les coups. C'est elle qui reçoit en premier la parole, elle qui subit quotidiennement la violence du mari, elle qui s'est retrouvée piégée dès son premier jour de mariage.

Lors du second chapitre, plus court, Marie-Hélène Lafon nous plonge en 1974, au coeur des pensées de ce mari qui fait vivre sa ferme tout en détruisant sa famille. Un point de vue qui n'excusera rien, mais qui contribue également à dresser le portrait de cette France rurale de l'époque.

Le roman se termine en 2021, en compagnie de l'une des filles, devenue adulte, qui vient refermer les grilles de cette bâtisse que la fratrie s'apprête à vendre. Une dernière page qui se tourne sur tant de souvenirs et sur cette histoire familiale qu'il est grand temps de laisser derrière soi.

Derrière ce titre qui évoque les racines tout en y insufflant immédiatement une promesse de liberté, se dissimule le journal d'une femme battue, prisonnière d'un contexte social, menottée par l'orgueil et la nécessité de sauver les apparences. Un texte (trop) court, finement ciselé, qui dépeint avec grande justesse la dureté de ce monde agricole, ainsi que la condition féminine dans cette France rurale de l'époque.
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Les sources…polymorphes…Lorsqu'une union est à la fois source de vie et source de tragédie…lait et poison…eau chaude et eau glacée.


« Elle préfère le mot source au mot racine »…Oui, le titre du livre est bien trouvé, il y a sans doute dans le mot « source » une fluidité, un espoir de changement et de déviation, une promesse de vie, d'ondulation et d'irisation moins paralysantes et oppressantes, moins sombres, que le terme de racine qui maintient et rigidifie, sous terre…


La source…Source de vie, berceau de l'enfance, nouvelle racine qui permet à l'arbre familial d'avoir de nouvelles branches, terre natale là où tout commence pour les enfants et où éclosent les premiers souvenirs…Cette source, ondoyante, vivante, frétillante, celle-là même, ce premier lait, peut pour certains parents constituer le premier poison, la source ineffaçable du mal, du chagrin, de la douleur, là où tout se casse et se termine. Racines mortifères, asphyxiantes tenant à distance la joie et le printemps…
Comment est-il possible de vivre à la fois ce bonheur d'être parents et ce malheur de devenir moins que rien, juste un tas, un tas malaimé, humilié ? En donnant la vie avec quelqu'un de tyrannique et d'odieux qui transforme le bonheur primaire en drame viscéral. Qui rabaisse l'épouse la faisant passer du statut sublime de mère à celui pathétique de chose inutile, non aimable car laide et plus désirable du fait d'un corps déformé par trois césariennes successives, par les coups, par les mots aussi, surtout, qui font « autant de dégâts que les coups, peut-être même davantage parce qu'ils ne la lâchent pas et lui tombent dessus au moment où elle s'y attend le moins, quand elle pourrait être à peu près tranquille et penser à autre chose ». Un corps tel un morceau de viande. Une vache qui ne cesse de ruminer.

Telle est l'histoire de violence conjugale racontée avec pudeur par Marie-Hélène Lafon, une écriture au cordeau, précise et simple, allant à l'essentiel, sans circonvolutions ni fioritures, à l'image de sa terre natale du Cantal. Une écriture du terroir, âpre et fertile à la fois, sincère et dure, sans pathos ni grandiloquence.

Le premier chapitre s'ouvre en 1967 sur deux journées qui vont tout faire basculer. Nous sommes dans la tête d'une mère de trois enfants encore jeunes qui, tout en vaquant à ses occupations de femme au foyer - ménage, repas, bain des enfants, repassage – au sein de sa vaste ferme en pleine campagne ne cesse de penser à sa situation, à ses peurs permanentes, aux humiliations subies et ses quelques moments de respiration…lorsqu'il n'est pas là. Lui, son mari. Comment a-t-elle pu en arriver là, comment a-t-elle pu signer devant le maire puis devant le notaire, alors que des signes précurseurs auraient dû l'alerter, son propre père lui avait fait la remarque d'ailleurs, la veille de son mariage, certes elle allait vivre dans une belle ferme mais décidément il n'aimait pas la façon dont son futur mari portait le regard sur elle. Pourquoi n'a-t-elle pas écouté son instinct ? Comment peut-elle à présent accepter cela et tenir, sauver les apparences ?
Pourtant, malgré le milieu, malgré l'époque, malgré les rumeurs, malgré l'image de mollesse et d'incapable qu'elle finit par porter comme une seconde peau enveloppant son corps devenu gros à force d'y cacher ses craintes, elle va avoir le courage de dévier la source, de rompre les racines.

Le second chapitre se situe en 1974 et plonge cette fois dans les pensées du mari désormais seul dans la ferme. Ruminations paralysantes sur ses incompréhensions, sources d'insomnies, qui gonflent l'homme de violence larvée. La satisfaction d'avoir gagné du fait de cette notion qui jette l'opprobre sur son ex-femme : le fameux abandon du domicile conjugal. Même si il y les coups, c'est vrai, mais elle l'énervait tant, après tout, toujours à être molle et inerte, à ne rien savoir faire. Il aime les femmes à personnalité pas les chiffes molles. Oui, il a eu des faiblesses, il le reconnait, mais tant de travail, tant de fatigue…Ces pensées du père apporte beaucoup au récit et évite notamment tout pathos, tout manichéisme, même si d'excuse le lecteur ne lui en donnera pas.

Enfin, le livre se termine en 2021, par le retour à la ferme familiale de l'une des filles, Claire, désormais quinquagénaire, qui fait le tour de la bâtisse avant sa vente et dont les souvenirs affluent.

Un récit en trois actes à l'écriture tranchante qui sait brillamment instiller les pensées dans l'action, la suspendant quelques instants, les laissant venir pénétrer, perturber, tout envahir jusqu'à la pétrification. Soliloque incessant, vagues tempétueuses, entre et pendant les gestes, mécaniques. C'est un procédé que j'aime tout particulièrement, friande de ces soliloques comme le manie avec génie un auteur tel que Lobo Antunes (je sais, encore lui…).

« La corbeille à linge est presque pleine. Elle se tient dans l'allée du jardin et secoue la tête pour ne pas penser à ces six premiers mois de son mariage, de janvier à juin 1960, où elle habitait Soulages. Elle se souvient et ça cogne de tous les côtés. Elle a été enceinte tout de suite, Isabelle est née le 30 novembre 1960, onze mois jour pour jour après leur mariage. Les deux combinaisons, le chemisier, la jupe ; elle les dépose sur le dessus de la corbeille ; elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé ; elle ne sait pas ce qu'elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé, haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets, et le reste. Saccagé ; son premier corps, le vrai, celui d'avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien. Il dit, tu pues, ça pue. Et il s'enfonce ».

Un roman court mais d'une puissance incroyable sur les violences conjugales, une lecture en apnée, témoin d'une époque où la résignation le disputait à la révolte et au changement, et pourtant, une violence, hélas, encore d'actualité.

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Oeuvre après oeuvre, Marie-Hélène Lafon creuse son sillon et poursuit sa chronique d'une famille du Cantal, vallée de la Santoire. Avec un texte encore plus condensé et concis que les précédents, avec une économie de mots encore plus précise pour renforcer l'intensité d'une histoire au demeurant banale : une femme battue, humiliée, maltraitée par son mari, trois enfants encore jeunes, une décision à prendre, fuir le naufrage ou « tenir son rang ».

Trois voix, trois flux de conscience, trois temporalités, trois actes : 1967 la mère, 1974 le père, 2021 la fille du milieu en clausule.

Evidemment, la thématique des violences conjugales est un terrain périlleux qui peut sembler opportuniste en surfant sur la vague MeToo. Ce n'est absolument pas le cas tant on sent la sincérité de l'autrice. Jamais elle ne force les traits, jamais elle n'en fait des tonnes. Elle dissémine juste quelques informations parcellaires, restant sur le fil sans se vautrer dans l'exhibitionnisme pour dire le tragique que vit cette femme sans prénom, trop démolie pour en avoir un alors que tous les autres personnages en ont un, jusqu'aux animaux.

« Elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé ; elle ne sait pas ce qu'elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé, haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets, et le reste. Saccagé ; son premier corps, le vrai, celui d'avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien. Il dit, tu pues, ça pue. Et il s'enfonce. »

Marie-Hélène Lafon est sans doute l'écrivain français actuel dont j'apprécie le plus l'écriture, sa précision grammaticale, l'exigence du vocabulaire, la justesse de sa ponctuation, le placement de ses verbes. Chaque mot est pesé, à sa place, forant progressivement à coup de roulis l'essence de ce qu'elle raconte. La fluidité de sa troisième personne du pluriel permet de s'adapter aux différents personnages tout en permettant une finesse d'analyse sans surplomb compassionnel de pitié. Ce livre est une aventure de la langue, une magnifique occasion de célébrer avec ferveur la langue française.

A la précision stylistique répond la précision temporelle. La mère parle depuis 1967, mai 68 et son vent de liberté ne sont pas encore advenus, encore moins dans les campagnes. Ses ruminations du premier acte forment un soliloque qui tranche avec le silence autour du drame qu'elle vit, son « orgueil » social qui la fait adhérer aux valeurs de son époque et être fière d'être propriétaire d'une ferme qui tourne au point de sa taire et subir. Lorsque le père a la parole, c'est en 1974, c'est le début du mandat de Valery Giscard d'Estaing qui voit en 1975 une loi instaurée le divorce avec consentement mutuel ( en plus de la loi Veil plus connue ). Il ne comprend rien à ce qu'il se joue et s'est joué dans son couple.

Quand le texte est si court, une centaine de pages petit format grosse police, la question se pose de savoir si l'auteur aurait pu aller plus loin et si cela aurait été mieux. Lorsque j'ai refermé le livre, j'étais un peu frustrée de la brièveté de la dernière partie centrée sur la fille, seulement quatre pages. J'avais envie d'en savoir plus, notamment sur le devenir de la mère.

J'ai lu une deuxième fois. Et non, finalement, il ne m'a pas manqué de pages. J'aime la douceur instantanée de ce dernier acte qui donne ampleur et perspective à la tension du premier et l'incompréhension du deuxième. J'aime les silences que Marie-Hélène Lafon ne cherche pas à combler, j'aime les béances du texte qui conservent ces mystères en remontant aux sources de Claire. A l'instar de cette surprenante citation en exergue ( Giono, Les Collines ) qui nous parle d'un sanglier qui « mord la source ».

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« …trois enfants, trois prénoms,trente-trois hectares, trente ans. »,
« Il dit , tu ressembles plus à rien. Il dit , tu pues, ça pue. Et il enfonce ».
«  Elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée , visée avec les trois enfants…. »,
Il , c'est l'animal, celui qui tourne autour d'elle et que malgré qu'il cogne et ses insultes, il faut qu'elle serve et laisse faire. Il , c'est le seul qui parle, le seul qui s'octroie le droit de parler et de la cogner. Elle, elle doit se taire par honte et convention sociale. Pourtant elle l'a su dès le début, quand il s'est déchaîné 15 jours après le mariage, elle s'est sauvée…elle n'aurait jamais dû revenir…..Nous sommes en 1967, dans un milieu rural, dans une ferme dans le Cantal, la région d'origine de l'écrivaine.Une de mes écrivaines françaises préférées , Lafon avec son dernier livre tape fort avec un sujet pourtant banal, la violence conjugale. Eh oui comme je me répète la forme est primordiale en littérature et le style de Lafon me plait à mourir. Avec une économie de mots tout est exprimé avec réflexions et émotions ou non émotions. En trois parties , cinq jours répartis sur trois années 1967, 1974, 2021, et trois narrateur en style indirecte, tout est dit en cent vingt pages. Aucune tendresse, amour encore moins, l'âpreté d'une liaison conjugale , d'une famille, des hommes, un frisson nous traverse tout le long de la lecture. On y entrevoie après mai 68, l'évolution de la femme au sein de la société et le triste compte rendu du déclin de l'activité agricole, qui signera aussi la fin d'une ère et d'un monde paysan attaché à sa terre qui disparaîtra à jamais . Quand à la source, les sources, l'oublie-t-on ? Les oublie-t-on ? C'est la dernière partie. J'aime beaucoup le style et les livres de Lafon, elle est vraiment unique avec ses sujets et ses personnages.
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Avec Les Sources, je retrouve Marie-Hélène Lafon dont je n'ai pas lu tous les livres… loin de là ! Pourtant, Les Pays, Joseph, Nos vies et Histoire du Fils, ces quatre romans parfaitement ciselés m'avaient convaincu du talent de cette autrice que j'avais eu la chance de rencontrer aux Correspondances de Manosque, en 2017, grâce à Dominique Sudre et à Lecteurs.com.
Avec Les Sources, me revoici plongé dans la vie quotidienne d'une ferme du Cantal, près de cette fameuse rivière, la Santoire, près de laquelle Marie-Hélène Lafon a grandi.
Dans cette ferme de trente-trois hectares pour vingt-sept vaches avec un tracteur, plus un vacher, un commis, une bonne et une voiture, vit un couple et ses trois enfants : Isabelle (7 ans), Claire (6 ans) et Gilles (4 ans). Les parents se sont mariés le 30 décembre 1959. Cela fait donc huit ans mais seulement quatre dans cette ferme achetée un peu loin de leur lieu d'origine. Elle est située à 1000 mètres d'altitude et le lait produit par les vaches permet de fabriquer un excellent Saint-Nectaire, un fromage qu' « elle » n'aime pas.
Tout pourrait aller bien mais je sens assez vite un malaise. Celle que l'autrice appelle le plus souvent « Elle », n'est pas vraiment à l'aise. Si elle se félicite d'avoir le permis de conduire, je ressens qu'elle peine à suivre le rythme de cette ferme du bout du monde, située à 90 km de leur lieu d'origine, près d'Aurillac, à une heure et demie de voiture.
Après trois grossesses très rapprochées, elle a dû se faire ligaturer les trompes mais elle prend du poids, se trouve trop grosse. de plus, elle se sent dépassée par le travail et redoute son mari qui impose sa violence.
La lecture est fluide avec des réflexions, des remarques, des pensées glissées au travers du déroulé d'une journée. Avec ça, il faut connaître un peu cet homme qui a passé vingt-sept mois au Maroc pour son service militaire. À Casablanca, il était jardinier d'un colonel, son chauffeur occasionnel aussi et elle sait qu'il avait, là-bas, une femme.
Le dimanche 19 mai 1974, la famille se rend chez parents et beaux-parents. Elle a un bleu au mollet plus d'autres blessures cachées par ses vêtements. Il a commencé à la battre quinze jours après leur mariage. Elle s'est enfuie mais est revenue. Pourtant, ce dimanche d'élection présidentielle, elle prend une grande décision !
Ensuite, Marie-Hélène Lafon laisse s'exprimer le mari qui donne son point de vue et détaille surtout les années qui ont suivi sans oublier de se plaindre de cette femme, « un boulet », qui a eu le courage de le quitter.
Marie-Hélène Lafon maîtrise parfaitement son récit, ne noie pas son lecteur sous des détails, détails que j'aurais bien aimé connaître. Elle laisse des zones d'ombre, s'attache au devenir des trois enfants, à leurs études, à ce qui va advenir de la ferme. le mari déplore de ne pas voir un de ses enfants prendre la suite comme cela est de plus en plus fréquent dans le monde rural.
Les Sources, ces sources où Claire (59 ans) aime revenir, près de cette Santoire récurrente dans l'oeuvre de Marie-Hélène Lafon ; ces sources sont importantes bien qu'elle n'y ait vécu que cinq ans et demi. Les violences conjugales qui ont brisé cette famille sont bien présentes, sont bien réelles mais l'autrice, sans développer davantage, en dit suffisamment pour que chacun prenne conscience de leur gravité et de la lutte qu'il faut mener pour qu'elles cessent définitivement.


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En une centaine de pages, quatre dates et trois chapitres, Marie-Hélène Lafon interroge la condition féminine en racontant la vie quotidienne d'une femme victime de violences conjugales.
Nous sommes en 1967, le samedi 10 juin précisément, dans une ferme isolée située dans la vallée de la Santoire. Trois enfants, Isabelle, Claire Gilles respectivement âgés de 7, 5 et 3 ans y vivent avec leurs parents.
La famille pourrait avoir une bonne vie dans cette ferme de 33 hectares, comptant 27 vaches. Ils possèdent un tracteur, une voiture, emploient un vacher, un commis et une bonne, des choses que peu d'agriculteurs possèdent dans cette France rurale des années 1960.
C'est la vie de la mère de famille que Marie-Hélène Lafon va s'attacher à décrire, la vie de cette femme qui a été heureuse dans sa jeunesse auprès de ses parents agriculteurs et qui, depuis son mariage il va y avoir huit ans, subit les violences répétitives de son mari. Son corps brisé par les coups, abîmé par trois césariennes est saccagé, dévasté…
Tout se passe à huis-clos et par honte, elle tait et cache ce qu'elle subit. Seuls ceux qui travaillent pour eux et que le père paie savent, mais leur rang ne les autoriserait pas à parler.
Sa vie devient de plus en plus intenable mais quitter la ferme, divorcer est rarissime et quasi impensable à cette époque. Elle rumine, elle ressasse jusqu'à ce déjeuner dominical chez ses parents, ce dimanche 11 juin qui sera un jour de grande bascule.
La nécessité de sauver ses enfants pour qu'ils mpuissent vivre et exister hors la peur lui donne la force de s'ouvrir à sa mère, mère qui entendra ses propos.
« Elle dit que c'est fini, qu'elle ne remontera pas, plus jamais. »
Cessation de la violence et nous voilà au dimanche 19 mai 1974, jour de l'élection du président Valéry Giscard d'Estaing auprès du père qui dort seul depuis sept ans depuis ce 11 juin précisément juste après la guerre des six jours. Les dates il les a toutes dans la tête… Et il ressasse… ce qui le dérange c'est cette drôle d'époque qu'on vit depuis mai 1968, le monde chamboulé avec « les femmes qui veulent prendre la place des hommes »…
Un jour de souvenirs et de questions.
Le roman se termine le jeudi 28 octobre 2021 avec le retour de Claire à la ferme ou plutôt dans la cour de la ferme avant le rendez-vous chez le notaire pour la vente de la maison, « la dernière étape, la dernière démarche, la dernière formalité ». Un retour à l'une des sources…
Inspiré librement de l'histoire de sa propre famille, Les Sources de Marie-Hélène Lafon s'avère un magnifique roman sur la condition féminine dans les années précédant mai 1968, récit ancré à nouveau dans ce Cantal que l'autrice connaît si bien. Elle restitue au plus juste la France rurale de ces années-là. Une nature belle, âpre, odorante et tactile.
Sans aucun voyeurisme ni aucun pathos, avec son style sobre, économe et tellement ciselé, elle parvient à décrire la souffrance aussi bien morale que physique éprouvée par cette femme qui vit avec la peur de son époux chevillée au ventre et qui parviendra malgré tous les impacts que cela aura forcément sur sa vie à le quitter.
Les Sources de Marie-Hélène Lafon est un roman d'une extrême concision mais d'une grande puissance qui ne peut laisser insensible !
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« Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils sont sortis aussitôt après avoir mangé, ils savent qu'il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc. »

Dès l'incipit, la tension s'installe de façon insidieuse et incontestable. Ce « Il » ouvrant le récit, bien qu'allongé paisiblement sur le banc, se dresse de toute sa hauteur, droit comme un if projetant une ombre menaçante sur les siens, les trois enfants et leur mère. Même ainsi, livré au sommeil, « Il » continue à faire régner la peur, sa domination est absolue. « Elle » n'ose pas bouger, vissée sur sa chaise, tandis que « les enfants » réfrénant leur envie de crier, de courir, de sauter, jouent prudemment, raisonnablement dans la cour. Eux n'ont pas l'air terrorisés, ils sont juste vigilants, attentifs à ne pas faire de bruit. C'est « elle » qui est terrifiée, paralysée par la peur, au point de ne plus pouvoir, de ne plus vouloir bouger. Voilà. le roman pourrait presque s'arrêter là, à l'issue de ces trois phrases. Tout est dit. Avec un minimum de mots et une pudeur bouleversante, Marie-Hélène Lafon nous donne à comprendre l'essentiel.

Le récit se déploie sur trois courtes périodes distantes entre elles de plusieurs années et décennies : une partition pour trois voix, celle de la mère, celle du père, enfin celle de la seconde fille, Claire. Chaque voix a une tonalité singulière, une musique bien à elle. Des phrases courtes, hachées pour la mère, des mots qui s'égarent et se perdent, témoignant de son hébétude, de sa difficulté à rester concentrée, à rassembler ses forces pour agir. Des phrases longues et tortueuses pour le père, des mots qui débordent de toutes parts, traduisant une énergie bouillonnante, une colère prête à s'enflammer au moindre prétexte qui le tient éveillé des nuits entières. le récit de Claire quant à lui, fragile pont jeté entre deux rives opposées, entre deux voix antagonistes et irréconciliables, tend vers le neutre, une neutralité apaisée et sans parti pris.

Nous sommes le samedi 10 juin 1967, il dort sur le banc et elle a peur. Entre nostalgie et regrets, elle égrène ses souvenirs tout en songeant aux multiples tâches qui l'attendent, débarrasser la table du déjeuner, ramasser la lessive, prendre un peu d'avance avant la grande toilette des enfants. Elle s'exhorte à se lever mais reste pétrifiée sur sa chaise, incapable de bouger, les jambes coupées, se contentant d'observer ses deux filles et son dernier-né, Gilles, qui jouent dans la cour.
« Son corps pèse. Elle attend. »
Mariée depuis huit ans, « une belle ferme, trente-trois hectares, une grande maison, vingt-sept vaches, un tracteur, un vacher, un commis, une bonne, une voiture, le permis de conduire », elle aurait de quoi être fière, pourtant. Elle pourrait avoir une belle et bonne vie dans cette ferme si seulement…
Pourquoi les choses sont-elles ce qu'elles sont? Pourquoi la peur au ventre tout le temps, la nuit comme le jour ? Pourquoi cet avachissement de tout son être? Pourquoi le silence, pourquoi la soumission ?
« Elle est séparée de la joie du printemps ; elle s'en souvient, ça n'est pas si loin, 1957, 1958, dix ans à peine, mais elle est comme fendue en deux. Ils se sont mariés un 30 décembre, et elle pense souvent qu'elle est entrée, en se mariant avec lui, dans une sorte d'hiver qui ne finira pas. »

À cette peur, à ces regrets, à cet hiver qui ne finissent pas, répondent en écho à sept années de distance la colère et le dégoût du père. Lui, il voit loin et il bosse dur, il se défonce pour sa ferme, pas sûr qu'il aime beaucoup le genre humain en général, mais il respecte les gars et les filles comme lui, les forts, les endurants, les pugnaces. Les maîtresses femmes comme sa tante Jeanne, comme sa belle-mère ou comme Suzanne, son premier — et devine-t-on, unique — amour, qui savent ce qu'elles veulent et qui savent où elles vont. Pas comme elle, une « molle », une « nulle en tout », « toujours à tournicoter dans la maison et dans la cour, à tout commencer sans rien finir, à peine capable de commander la bonne qu'il payait, lui, parce qu'elle ne pouvait pas se débrouiller seule. »
Mais comment, rumine-t-il sans fin, « comment il avait fait pour s'embarquer avec un boulet pareil. Elle le rendait dingue, avec ses yeux de chien, et il cognait, il cognait dans le tas, ça c'est sûr. »

Claire, la fille en second, clôt le récit quatre décennies plus tard. Elle s'est beaucoup interrogée par le passé, elle a retourné ces questions tant et plus, mais aujourd'hui, à cinquante-neuf ans, « elle ne cherche plus à comprendre ce que représente pour elle cette cour rectangulaire perdue au fond d'une vallée minuscule ».
Ses sources, ses racines sont là, elle le sait, elle l'accepte.

« Elle a posé sa main droite ouverte sur le lichen roux de la façade, elle va partir, elle se souviendra de tout. Elle ne ferme pas les yeux, la lumière est douce. »
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Trois époques, trois parties volontairement déséquilibrées, la première qui est aussi la plus longue, évoque la vie familiale rurale en 1967 dans le Cantal, ceci à travers une femme, mère de famille, malheureuse, battue par son mari qu'elle finira enfin par quitter.

La deuxième, brève, montre l'après de la séparation à travers les attitudes des enfants du couple qui passent quelques jours d'été à la ferme avec le père, celui-ci admirant ses deux filles, haïssant visiblement le dernier né, un garçon qui, pourtant, à cette époque était souvent la fierté du paysan désireux de transmettre à la fois nom et héritage.

La dernière ne fait que quelques pages avec un bref retour de la fille cadette vers la ferme vendue après la mort du père, retour teinté d'une nostalgie qui fait de ces toutes dernières pages les meilleures du livre.

Si la structure est intéressante, le style m'est apparu décevant, avec des phrases hachées, comme sans doute la vie de cette épouse malheureuse qui avait fait le mauvais choix. C'est écrit au présent, en courtes phrases, à aucun moment je n'ai ressenti la dimension d'un grand roman de la terre et de la femme, hormis à son extrême fin.
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10 juin 1967. Dans 3 semaines, elle aura 30 ans. Déjà 3 enfants, Isabelle, Claire et Gilles. Une belle ferme, un commis, un vacher, une bonne. Et le permis de conduire qu'elle est heureuse d'avoir passé. Pour un semblant de liberté. En ce samedi ensoleillé de juin, elle regarde ses filles jouer sur les balançoires. Des filles dont elle sent qu'elles s'échappent déjà un peu. Elle se réjouit d'aller manger chez ses parents le lendemain, à Fridières. Au moins là-bas, Franck, son mari, se tait. Il mange et se tait. Et n'a pas le dessus comme il l'a chez eux. Son père l'avait pourtant plus ou moins mise en garde, lui affirmant qu'il n'aimait pas la façon dont Franck la regardait. Elle aurait dû l'écouter. Parce qu'aujourd'hui, elle ne fait que semblant. Semblant d'être heureuse, d'avoir un bon mari. Semblant de ne pas entendre ses cris, de ne pas avoir mal lorsqu'il frappe...

En cinq jours, narrés dans les années 1967, 1974 et 2021, Marie-Hélène Lafon nous laisse entrevoir la vie, entre la ferme de Fridières et celle de Soulages, séparées par un ruisseau. En 1967, l'on fait connaissance avec la mère qui, par le truchement d'une voix narrative, livre ses émotions et ses sentiments. Bien que taiseuse et bercée par le silence qui s'impose, elle dévoile, tout en retenue, nommant à peine les gestes ou les paroles, ce qu'elle subit au coeur de son foyer. Ce ne sera que 7 ans plus tard que l'on saura ce que pense le père, Franck. Il donne à voir de ses ruminations, de la décision de la mère (dont on ne saura plus rien), de sa hargne, de sa bile, de ses justifications, de son mépris pour son fils. Puis un saut en 2021 nous ramène devant la ferme, en compagnie de Claire, étonnamment nostalgique des années passées à Soulages. Trois époques, trois chapitres inégaux, le premier de plus de 80 pages, le dernier couvrant tout juste 4 pages, qui donnent à voir, à ressentir, en peu de mots, la violence au quotidien, la dureté du monde paysan, le courage de s'émanciper. Un roman court, marquant, dont l'écriture ciselée et l'ambiance que l'on devine tendue, oppressante, renvoient à ce sentiment d'urgence et de liberté...

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Dans sa vie de jeune fille rien ne l'avait préparée à ce qui allait suivre. Mais qu'elle femme est préparée à subir un mari violent qui ne l'a jamais aimée ? Juste épousée faute de mieux ? Mais peut-être que plus volontaire, elle aurait pu s'imposer, refuser les grossesses rapprochées, au point d'avoir un corps qui les dégoûte, lui comme elle. Où donc sont les sources du mal ?

Une grande qualité de ce texte, hormis sa concision, est qu'il ne pas sombre pas dans le manichéisme. Car Marie-Hélène Lafon, qui connaît beaucoup de la vie paysanne, et de la psyché humaine, nous fait vivre de l'intérieur les tourments d'un homme et d'une femme qui sont coincés entre des aspirations contradictoires. Deux êtres incompatibles. Une femme sans nom, sorte de victime universelle de la violence masculine, face à un homme qui n'aurait jamais dû l'épouser.
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