Mais le déplié et le plié, le découpé et le recoupé, le collectif et le singulier ne s’opposent aucunement. Il s’agit seulement de points de vue différents et complémentaires sur une seule et même réalité sociale
Chaque individu porte en lui des compétences et des dispositions à penser, à sentir et à agir, qui sont les produits de ses expériences socialisatrices multiples
le tout est plus que la somme de ses parties
Les choix ou les décisions n’expliquent rien mais sont eux-mêmes à expliquer et ils n’ont évidemment rien de libres
Or il faut avoir une drôle de conception de la socialisation – sans doute sous la forme d’une inculcation autoritaire et coercitive d’un agent socialisateur actif sur un agent socialisé passif – pour imager que le monde social d’aujourd’hui serait moins socialisateur ou moins contraignant que celui d’hier ou d’avant-hier
Et, plus que cela encore, les fibres de ce tissu, qui se croisent et s’entrecroisent, sont constitutives de chaque individu. L’intérieur est de l’extérieur plié et n’a donc aucune espèce de spécificité, hormis les capacités générales d’un cerveau et d’un système nerveux prêts à se nourrir de toutes les expériences humaines possibles
En observant le monde social à l’échelle individuelle, on prend vite conscience du fait que les "influences" socialisatrices qui façonnent les individus sont loin d’être parfaitement cohérentes, contrairement à ce que l’on présuppose lorsqu’on évoque abstraitement les "classes de conditions d’existence" constitutives des habitus, que les individus ont donc rarement des patrimoines de dispositions homogènes, et, enfin, que les dispositions (plus ou moins fortement constituées et plus ou moins hétérogènes) dont ils sont porteurs ne se transfèrent pas systématiquement d’une situation à l’autre
L’idée qu’il existe un social (ou une histoire) à l’état incorporé, sous la forme de dispositions à agir, à croire, à sentir, etc., me paraît fondamentale lorsqu’on entend rendre raison des pratiques ou des comportements
Car le social ne se réduit pas au collectif ou au général, mais gît dans les plis les plus singuliers de chaque individu