En bas des blocs, les guetteurs entonnent leurs chants, mélange de sifflements et d’aboiements, pour alerter les clients et les dealers. Leurs cris de ralliements résonnent entre les tours à intervalles réguliers. C’est un grand opéra, une représentation unique chaque soir, mais les comédiens restent toujours les mêmes. Des fantômes encapuchonnés, adossés contre les murs, les poches pleines et le cœur vide.
Les ballons sont comme le bonheur. Personne ne le trouvera s'il cherche uniquement le sien. En revanche, si chacun se soucie l'un de l'autre, chacun trouvera son propre bonheur plus facilement.
Ils mettent des bols d'eau pour que la tombe serve d'abreuvoir aux oiseaux, afin que le défunt n'entende que les chants des oiseaux et non les mauvaises paroles et les ragots des humains. C'est beau, n'est-ce pas ?
Il prend enfin conscience que son métier est une plongée en apnée dans la fameuse France d'en bas, constamment. La France des quartiers, des parqués, ceux qu'on enclave et qu'on oublie comme des chiens abandonnés au bord de la route, un matin d'été. Et après, on s'étonne que certains mordent et qu'ils aient la rage au ventre de montrer qu'ils existent.
Il passe devant les tours A et B, ces immenses tours que la mairie de Toulouse a décidé de peindre en couleurs vives pour faire vainement oublier aux habitants que leurs horizons restent gris.
Au milieu des gens qui vont et viennent en silence dans l’appartement, le père d’Ismahane se penche vers Olivier. D’une voix grave mais nouée par l’émotion, il lui dit.
– Tu ne peux pas guérir dans l’environnement qui t’a rendu malade. C’est impossible.
Olivier ne répond pas, il se contente de hocher la tête, tout en l’observant discrètement. Le patriarche est si digne dans la douleur. Si digne dans le deuil, habillé d’une djellaba sombre qui contraste avec les murs blancs. La journée a été éprouvante, mais il reste droit. Puis, un peu comme pour lui-même, il chuchote en faisant peser lourdement sa main sur son épaule.
– Un papa ne devrait pas enterrer son enfant. Ce n’est pas logique. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Jamais. Qu’Allah me prenne sa place s’il le désire, mais qu’il me rende mon enfant.
Tu sais, il y a une phrase qui dit qu’il est plus facile de construire un enfant fort que de réparer un adulte brisé. C’est ça, mon métier.
Ismahane décidera jusqu’au bout de qui elle était, de qui elle est, et de qui elle sera. Une adolescente libre.
Lorsque Olivier demande à un enfant ce que veut dire laïque, Kerim, fier de lui, répond que c’est lorsque l’on met un pouce bleu sur YouTube, on like.
Olivier se dit que c'était là tout le paradoxe des jeunes femmes de banlieue qui s'habillent comme des mecs pour passer inaperçues. Pour être bien vues, elles ne doivent pas être vues.