Café et meurtres gratuits

– J’ai un peu de mal à comprendre en quoi la poursuite du bonheur peut être responsable du malheur des gens…
– Je vais vous expliquer… les gens se font une fausse idée du bonheur. Ils s’imaginent que pour l’atteindre, il faut satisfaire tous ses désirs. Acheter le dernier portable, la dernière voiture, les dernières fringues à la mode…

C’est une femme très riche qui a touché un gros paquet d’argent au décès de son mari et qui passe le plus clair de son temps à lire des bouquins et à écouter des vinyles de jazz chez elle. Tu comprends où je veux en venir ? Elle sort jamais de son manoir ! Et si elle sort jamais de son manoir, ça veut dire qu’elle a jamais l’occasion de les porter ses bijoux, puisqu’elle voit personne. Du coup, ils prennent la poussière dans un vieux coffre en bois. Si on venait à les voler, ça n’aurait aucune gravité. Et nous, on pourrait se faire beaucoup d’argent et commencer à vivre pour de vrai. Moralement, c’est irréprochable.

C’était une jeune femme absolument ravissante qui arborait des cheveux bouclés d’un roux éclatant. Ses lèvres purpurines et ses joues parsemées de taches de rousseur donnaient à son visage un air juvénile, que ses yeux perçants venaient toutefois atténuer. Sa tenue de travail consistait en une robe rose bonbon et un tablier blanc. Son décolleté plongeant laissait deviner une poitrine généreuse et ses jambes, longues et galbées, étaient dignes de figurer dans une publicité pour des bas résille. Sa démarche était gracieuse et légère ; on eût pu croire qu’elle avait été actrice avant de devenir serveuse.

Le café du Café de Jade avait ceci de particulier qu'il provenait de Thiotte, une région située dans le sud d’Haïti. Le climat s’y distinguait par de fortes variations thermiques entre le jour et la nuit, ce qui avait pour effet d’entraîner la formation de précieux précurseurs d’arômes dans les grains. Les drupes, traitées avec la méthode humide et savamment torréfiées, donnaient naissance à un café aux notes de pâtisserie et de fruits secs, très prisé des amateurs. Pour ces raisons, Vincent avait pris l'habitude de s'y rendre avant d'aller au travail.

La vue d'une pile de crêpes et d'une tasse de café avaient toujours eu sur lui un effet apaisant ; elle le mettait pour ainsi dire dans un état propice à une profonde introspection. C'était l'occasion pour lui de passer en revue tous ses projets, du plus farfelu au plus terre-à-terre.
Vincent ne vivait jamais vraiment le moment présent ; il ne comprenait même pas qu'on pût s'y jeter corps et âme. Le présent était toujours décevant, en-deçà des attentes de la veille, tandis que l'avenir offrait pléthore de possibilités.