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Critique de HordeDuContrevent


Une lecture enchantée…

Il est des auteurs que nous voudrions avoir pour ami, des auteurs dont les livres, même ouverts au hasard, recèlent à chaque page des îles aux trésors sur lesquelles trouver refuge, un endroit où se blottir, une lumière venant éclairer nos noirceurs, réchauffer notre âme, atténuer nos angoisses, nous redonner foi en la vie et en l'espèce humaine. Des auteurs qui engendrent la joie avec leurs mots.
Robert Lalonde est de ceux-là. Il est de cette trempe-là. de cette humanité-là. Sincère et indomptable, il fait grandir son lecteur pour le rendre meilleur en lui réapprenant à voir, à entendre, à écrire et à lire. Il donne envie de murmurer avec émotion, parfois de lire à voix haute avec un large sourire, de noter frénétiquement des phrases en vue de les apprendre par coeur, de surligner des passages entiers, notamment des phrases d'une poésie éblouissante, tant il sait exprimer l'indicible, tant il sait décrire la beauté. Il nous donne envie de prendre stylo et feuille blanche pour gratter à notre tour, pointe de langue sortie et regard pétillant.
Oui, ce livre se déguste, le cheminement sur quelques pages mérite ensuite une pause tant il y a de richesses sur lesquelles méditer et revenir inlassablement. Il faut laisser infuser. Ce livre ne peut d'ailleurs pas être rangé et oublié entre deux livres, il doit rester sur la table de chevet, dans le sac, sur la table basse à côté de la tasse de café pour pouvoir être sans cesse ouvert, picoré, boulotté. Il n'est jamais fini. Il est et sera. Une lecture enchantée oui. Sur le point de révéler tout de la vie.

« La nuit est bleue et on voit toutes les étoiles, plus distinctement que des cailloux au creux d'un ruisseau clair. Au bruit de l'arroseuse, dans le verger voisin, répond le cri de l'engoulevent, couché sur le toit de la grange. Je suis posté, véritable sentinelle qui, à la veille d'une bataille, scrute les champs, l'horizon, le ciel. Ma présence est discrète, mais ardente : un peu plus et je m'enflamme et saute dans la nuit, où je laisserai, moi aussi, une trace brillante, mon égratignure ignée d'étoile filante : The line of words feels for cracks in the firmament (les mots alignés montent et se glissent dans les brèches entre les galaxies) écrit Annie Dillard ».

Dans son chalet à Oka au Canada, en compagnie de son chien et de sa chatte, Robert Lalonde nous partage ses observations, ses pensées, son quotidien durant quatre saisons, saisons bien marquées dans ce coin de nature canadien. Il écrit sur le temps qui fait, le temps qui passe, la nature qui l'entoure. « Ça parle d'oiseaux, de livres, de chevreuils…de désir, d'espérance, de lueurs aperçues…Ça parle de moi, en scribouilleur obsédé…». L'auteur convoque tous les auteurs qu'il aime, méditant sur la vie, la mort, le processus de création littéraire.
Entouré de Annie Dillard, de Flannery O'Connor, de Jean Giono, de Barry Lopez, d'Emily Dickinson, de Colette, de Montaigne, entre autres, il cite ses maitres, ce qui vient enrichir et approfondir ses propres pensées. Il s'en inspire tout en brodant notes, entretiens imaginaires, aphorismes, anecdotes, autour des maximes aimées. Et nous offre pour les auteurs anglophones sa propre traduction. Et que cet éloge à la littérature est bon, que cette boulimie de lecture et d'écriture donne envie, qu'il est étourdissant d'être littéralement submergé par les citations, cités avec un bel à-propos auréolé de respect et d'amour !

La plume de Robert Lalonde, vous l'aurez compris, est éminemment poétique, une poésie parfois mystique, animiste, fantastique, d'incroyables fulgurances où nous le voyons se donner entièrement à la nature, lâcher prise, nous livrant des passages d'une beauté étrange et surprenante où nous sentons confusément qu'il atteint un degré d'abandon suprême :

« Il y a des secrets à surprendre, la grande marche turbulente et tranquille de l'univers, sa déambulation nuiteuse de gros animal qui se tourne dans son sommeil et libère l'herbe, des milliers d'insectes, et tant de désirs reprennent à l'immense air libre. J'écris pendant que l'univers tourne, que Castor et Pollux virent sur leurs flancs, qu'une lueur monte, qui n'est pas le matin encore, déjà, mais cette espère d'incandescence de lait bleu, un clair de nuit, un gigantesque halo, une aurore boréale à la grandeur du ciel. J'imagine une navigation à peau nue, dans cette eau pâle qui coule dans la nuit sans fin, une sorte de descente galactique, bras et jambes écartés, une longue chute de côté, comme dans une rivière avec des cascades et des petits lacs, des remous et des grandes baies d'eau libre. J'écris mon désir d'abandon, mon besoin d'être emporté par une grande bête bienveillante, mon souhait d'enfant et d'adulte encore d'être enlevé dans les étoiles… ».

Que j'aime sa façon de plonger dans le cosmos, tous les cosmos depuis celui observé dans les yeux de son chat à cette étonnante descente galactique…de l'infiniment petit à l'infiniment grand, Robert Lalonde étreint toutes les dimensions, observe tous les éléments avec le même étonnement et la même sensibilité.

« La chatte est perchée sur le bras de la chaise de rotin. Elle ouvre, sur la table et le halo de lumière où j'écris, deux grands yeux couleur de thé fort et où je découvre un gisement inaperçu, encore, des dizaines de points d'or luisants, palpitants comme de petits astres vivants ».

Puis il redevient pour un moment plus terre à terre, sous ce grand ciel « bardassé » de nuages qui ne font rien, avec son chien qui fait le mort dans l'herbe, sa chatte qui joue au tigre dans la belle brousse effrayante qu'est le jardin et se contente d'admirer, de respirer, présence ancrée mais insignifiante, fragile existence… « A partir du moment où l'on cesse d'inventer le monde, être mort ou vivant, c'est presque la même chose… ».


Robert Lalonde écrit en incarnant, « en donnant chair et sueur, sang et effluves d'haleine », et nous le sentons à notre manière d'être plus vivant en le lisant. Notre façon d'avoir envie de lutter pour le bonheur. de désirer.

« Chaque instant, chaque mot, chaque regard jetés au hasard, chaque pensée profonde ou badine, chaque tressaillement à peine perceptible du coeur humain, de même que le duvet aérien des peupliers ou le feu d'une étoile dans une flaque d'eau nocturne, sont des grains de poussière d'or… ».

Un écrivain enchanteur...

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