Je l’ai regardée s’approcher de moi, raide et mécanique, traînant sa valise à roulettes tel un automate aveugle et sourd, et je me suis demandé si son cœur aussi cassait la baraque ou si la camisole des médicaments l’avait transformée en un robot programmé à revenir ici même, dans ce lieu de relégation, cinq jours plus tard, à l’heure dite, l’esprit toujours sage, dressé une fois pour toutes à ne plus penser. À ne plus se souvenir. À ne plus souffrir.
J’avais l’impression d’être un figurant dans un film muet, car aucun bruit ne me parvenait distinctement tant je m’étais claquemuré à double-tour dans mes pensées. Peu à peu la rumeur des voitures, le glissement métallique d’un tram sur ses rails, sans compter le roulement de la valise que je traînais, entrecoupé de brefs hoquets entre deux pavés, m’ont fait prendre conscience que nous n’étions plus dans le couloir de la mort, mais dans celui de la vie.
Nous nous étions perdus de vue pendant des années sans la moindre explication. On s'ignore soudain pour une raison futile liée à la surcharge de travail ou à une phrase mal interprétée, les mois défilent, puis on n'ose plus reprendre contact.