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Critique de Eve-Yeshe


Septembre 1472, tout semble calme voire paradisiaque dans le petit port de pêche de Santona, comme un paysage de carte postale. Hélas, la situation économique devient précaire et il faut bien trouver un bouc émissaire. Alors, l'antisémitisme gronde de plus en plus dans le royaume de Castille et il faut choisir : se convertir ou l'exil. Shimon Cocia (qui signifie ceinture en hébreu) exige de ses fils Yehia et Yehoyaim de partir et de se convertir au christianisme, de se séparer et continuer chacun la route de son côté sans jamais évoquer leurs racines, ni leur vie d'avant.

Leur mère leur demande quand même de ne jamais oublier qui ils sont et leur confie un morceau de fer en forme de triangle, comme porte-bonheur. Tout à fait insignifiant pour quiconque le trouverait, il s'agit en fait d'une étoile coupée en deux.

L'un s'engage sur un bateau en partance pour ce qu'on appellera plus tard le Nouveau Monde et deviendra cartographe, sous le nom de Juan Cosa, l'autre s'en va à pied sur les route, le plus loin possible, fermement décidé à devenir chirurgien et deviendra Joachim Kossa.

On va suivre le destin des deux frères, dans cette Europe qui brille sous les feux de la Renaissance et dont le destin change, en Espagne pour l'un en Allemagne pour l'autre et revivre toute l'Histoire de l'époque, les avancées géographiques, et scientifiques…

C'est l'époque où Christophe Colomb s'apprête à partir avec ses trois caravelles pour rejoindre l'Inde par l'Ouest, donc on fait la connaissance d'Amerigo Vespucci, qui a dû quitter Venise pour fuir une paternité dérangeante, liée à son côté Don Juan qui papillonne : la mère décède et Lisandra, la petite fille sera confiée à l'adoption à son frère Antonio et son épouse qui ne peuvent pas avoir d'enfant. Amerigo vivra loin, veillera plus ou moins bien sur sa « nièce ».

Mais, à Venise sévit un moine intégriste, Savonarole qui fait régner la terreur, et la famille Vespucci assiste, sur le balcon d'une famille amie, les Liuciardi, à l'exécution. Les Vespucci sont riches, et leurs amis tout autant, ils ont « pignon sur rue » et on va suivre l'évolution des deux familles en parallèle avec la découverte des Canaries, avec Ténériffe, la Hispaniola qui deviendra plus tard Saint Domingue puis de nos jours Haïti. Partout, les habitants vont être massacrés ou vendus comme esclaves.

Parmi les esclaves, il y a une jolie jeune femme surnommée la Guanche qui habitait avec sa famille aux Canaries et Amerigo va la prendre sous son aile et dans son lit pour fonder une famille. Elle sera convertie au catholicisme pour qu'il puisse l'épouser et il conviendra toujours de garder le secret.

L'autre frère, devenu Joachim Kossa, fait des études et devient chirurgien comme il le désirait, et épouse Ursula, la fille de son mentor. Il va côtoyer celui qui deviendra Martin Luther et à travers son histoire, on assiste à la naissance des théories de celui qui n'est encore qu'un moine. Celui-ci deviendra un familier de la maison. Joachim rencontrera aussi un médecin venu de Pologne, le pays de Copernic, avec lequel il aura des échanges savoureux tans sur le plan de la médecine que celui de l'astronomie ou la religion.

On parcourt l'Italie, la Renaissance et ses chefs-d'oeuvre, le développement extraordinaire du commerce, la soie, et sur les traces de l'époux de Lisandra, Blois et sa richesse à l'époque glorieuse de François, poussant jusqu'à l'Angleterre pour faire des affaires. C'est aussi le moment où se développe le commerce du tabac, cacao ou encore betteraves sucrières.

L'épopée des deux frères nous permet de suivre toute une période de l'Histoire, de dresser les première cartes du monde car chacun d'eux évolue dans une sphère qui va chambouler l'époque et la différence, l'opposition même qui existe entre les balbutiements de ce qui deviendra le Protestantisme, avec sa rigueur, les prêches orientés de Martin qui fustigent les excès de l'église catholique, son attachement immense à l'argent et le point de non-retour est atteint devant l'affaire des indulgences : payer pour recevoir absolution et bénédiction.

En Allemagne, on baigne dans l'austérité, le devoir, alors qu'en Italie et ailleurs en Europe, tout est axé sur le matérialisme ou le plaisir mais où l'art occupe une grande place.

L'antisémitisme de l'époque est bien étudié par l'auteure et on voit bien que rien n'a changé depuis l'époque, dès que survient une crise ou une épidémie, tout de suite on a besoin d'un coupable et les Juifs sont immédiatement accusés. Ils doivent sans arrêt cacher leur croyance, ce qui peut attirer l'attention de la circoncision au repos du samedi (il faut cuisiner la veille, un plat qui se réchauffe sans problème, quand on a des invités…

J'ai beaucoup aimé suivre cette famille, dans leur vie de tous les jours, dans leur évolution et cette lecture est en tous points passionnantes. On a des étoiles plein les yeux, on apprend des choses sur le commerce de l'époque, des routes d'approvisionnement, sur l'évolution de e la géographie, car dessiner les cartes irritait l'Église au plus haut point, alors qu'elle voulait garder la mainmise sur tout… c'était déjà terrible pour elle d'admettre que le soleil était au centre du monde et non la Terre, il fallait alors prendre des pincettes…

Nadeije Laneyrie-Dagen raconte au passage les difficultés de la médecine de l'époque, la manière dont il fallait tricher pour pouvoir faire des dissections pour étudier le corps humain…

Elle nous propose également un chapitre où l'on visite le camp qui deviendra Camp du drap d'or où aura lieu une célèbre entrevue.

« Dans le bivouac et aux alentours de ce qu'on appelait le Camp d'or ou le Camp du drap d'or, tout le monde parlait politique. La petite histoire et la grande se mêlaient : celle des coucheries royales et celles des alliances qui faisaient le destin des pays. »

L'auteure a découpé son récit en plusieurs périodes (pour suivre la chronologie des évènements historiques de l'époque) qui s'étendent de 1472 à 1525 et dans chacune, on alterne le récit allemand et le récit espagnol-italien-français) permettant d'approfondir ce que l'on veut (la Hispaniola par exemple ou Bartolomé de Las Casas par exemple) et il n'y a pas de préférence accordée à l'un ou à l'autre par l'auteure. le récit n'est jamais fastidieux même l'exécution de Savonarole…

L'auteure nous propose à la fin des lettres échangées par certains protagonistes dans le plus pur style de l'époque…

Il manque juste un petit quelque chose pour que ce roman ne soit pas un vrai coup de coeur : j'aurais aimé que Nadeije Laneyrie-Dagen laisse une place plus importante à l'Histoire, donne plus de détails sur l'Europe politique, économique de l'époque, les familles régnantes… les vrais pouvoirs, mais je suis bien consciente qu'il aurait fallu 150 ou 200pages de plus alors que ce livre en contient déjà… 742 !

Ce livre m'a beaucoup fait penser à mon livre préféré (saga paraît insuffisant quand il s'agit de cette oeuvre !) : Les Rois Maudits, le chef d'oeuvre de Maurice Druon, lu et relu et qui est toujours à portée de mains… d'où peut-être ce petit bémol.

Si vous aimez l'Histoire, la Renaissance, la cartographie, l'art, les moeurs de l'époque, le statut des femmes, et la manière dont elles l'utilisaient, il ne faut pas hésiter une seconde, il est tellement passionnant, et bien écrit, qu'une fois immergée dans le récit, on ne peut plus le reposer. Les 742 pages s'avalent, au propre comme au figuré, au début, je dévorais et ensuite je voyais les pages restantes diminuer beaucoup trop vite et comme je n'avais pas envie que cela finisse, j'ai fait durer au maximum malgré la date de 30 jours pour rendre ma copie.

De plus, ce livre est très beau, jolie couverture, belle écriture, donc malgré son poids, je l'ai emporté partout avec moi…

Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard, qui m'ont permis de découvrir ce beau roman et son auteure dont je vais suivre les publications…
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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