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Citations sur Blockhaus (11)

Il y a dans ces restaurants de bord de mer, dès lors qu’ils ne se satisfont pas d’être des bouis-bouis de bout du quai et affichent la prétention d’un standing amélioré, un doux mélange de kitsch contemporain, impersonnel –idem sur toutes les côtes –et de vieille auberge maritime, de tanière où se donne en partage l’archaïque nourriture des hommes tirée de leur hostile et chère adversaire abyssale.
C’est dû aux poissons que l’on y fait griller, qu’on dirait tout juste extraits de l’étendue obscure qui prend sous les fenêtres, sautés aussitôt dans l’assiette après un bref détour par les cuisines où les ont vidés, préparés et mis à cuire des mains candides et chevronnées, répétant des gestes sans âge ; c’est dû aux huîtres qui sortent de leurs casiers trempés à quatre cents mètres de là, aux coquillages ramassés sur les plages d’à côté par d’autres mains calleuses, gercées, entaillées de cicatrices dans et malgré leurs gants de protection. Une caravelle ou un chalutier vogue à l’intérieur d’une grosse bouteille sur une étagère. Les serviettes sont tire-bouchonnées dans les verres à pied ; on les retire pour verser le vin blanc qui accompagnera les bulots, les crevettes.
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On devinait encore, au loin, les spectres de béton qui imprimaient une densité supérieure de noir sur le noir de la mer – à moins que ce ne fût le sentiment de leur présence, le fait de savoir qu’ils se trouvaient là, quelque part à l’horizon, qui me faisaient croire en distinguer les contours sur le fond uniforme de la nuit. Nous connaissons tous, je suppose, ces moments d’attraction hypnotique qu’exerce la mer lorsqu’on la contemple : le spectacle a beau nous en sembler immuable, la répétition du ressac lancinante, morne, ses variations immédiates peu perceptibles à l’œil, on peine à s’en extraire, on demeure médusé, encollé à sa monotonie, comme si une force magnétique nous y aimantait. Tout conscience du temps paraît s’être dissoute à travers l’infinie dormance océanique ; et dans l’obscurité, quand seules les oscillations les plus rapprochées de l’écume et les miroitements infimes du rivage parviennent jusqu’à notre regard, cette sensation narcotique n’en devient que plus intense encore.
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On estimerait que grâce aurait été rendue aux boys et à leurs alliés autochtones, aux résistants du pays et puis, pourquoi pas, aux soldats ennemis, dont la plupart n'avaient certes pas demandé à être enrôlés pour servir de bouclier à la plus criminelle des tyrannies sanguinaires. Et avec tout ça, tant qu'on y était, dans les cœurs et les esprits du moins, grâce aurait peut-être été rendue aussi aux paysannes normandes que les boys avaient violées et engrossées sur leur passage dans les granges de la région (bien que d'elles, aucun discours évidemment n'aurait honoré la mémoire, ni même rappelé l'existence : de cette histoire elles étaient la tache aveugle, le vilain petit souvenir inavouable que chacun garde secrètement en tête lors des rassemblements de famille et que personne n'ose déballer de peur de troubler le repas, de contrarier les aïeux ennoblis par leur âge canonique, de gâcher la fête).
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Nous connaissons tous, je suppose, ces moments d'attraction hypnotique qu'exerce la mer lorsqu'on la contemple : le spectacle a beau nous en sembler immuable, la répétition du ressac lancinante, morne, ses variations immédiates peu perceptibles à l'oeil, on peine à s'en extraire, on demeure médusé, encollé à sa monotonie, comme si une forme magnétique nous y aimantait. Toute conscience du temps paraît s'être dissoute à travers l'infinie dormance océanique ; et dans l'obscurité, quand seuls les oscillations les plus rapprochées de l'écume et les miroitements infimes du rivage parviennent jusqu'à notre regard, cette sensation narcotique n'en devient que plus intense encore.
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Pendant ce temps, aux quelques survivants invités, aux vétérans de l'opération Overlord, aux boys désormais nonagénaires courbés par l'arthrite et l'émotion qui reverraient le théâtre de leurs exploits, l'endroit où ils avaient bu la tasse près de trois quarts de siècle plus tôt, on ferait faire une visite spéciale du musée, le directeur - le conservateur en chef - se suppléant aux guides habituels, troquant leurs blagues contre une solennité de gala pour détailler les maquettes et les écrans, laisser les convives se recueillir longuement comme face à des icônes devant les films projetés dans la salle du fond, et chercher si certains y reconnaîtraient un visage ami, voire se reconnaître eux-mêmes.
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Les trognes adolescentes, accidentelles, ballottées au gré du hasard et des éléments, catapultées en pagaille dans un univers d'eau, de sel, de flammes et d'acier, nous serraient le cœur.
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Ses filles vivaient à Paris, l'une était avocate, l'autre "dans l'événementiel", et l'on percevait la fierté de Suzanne, soulagée sans doute aussi qu'elles aient une autre vie que la sienne, ailleurs, meilleure. Une vie que, désormais, elle enviait peut-être ; et dans sa voix l'on pouvait sentir, lorsqu'elle évoquait le monde lointain et enchanté que la capitale représentait dans son esprit - un monde dont, à ses yeux, nous venions, Esther et moi, et dont nous étions en quelque sorte, pour un soir, les émissaires inattendus, débarqués par hasard dans son domaine isolé -, une nostalgie pour un rêve qu'elle n'avait pas eu quand elle était en âge de l'avoir, et qu'elle regrettait de n'avoir pas eu, mais que ces filles avaient accompli à sa place, lui laissant par procuration toucher, goûter cette vie citadine, plus vaste que celle qu'elle s'était faite.
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Ils ont résisté au temps, aux tempêtes, à l'érosion, plus que tous les autres matériaux, que tous les autres engins qui participèrent à rendre possible l'aberrante prouesse technique augurant le combat vers la Libération, vite balayés par les flots, remisés dans les musées agréés, voués au culte de la commémoration, ou bien fondus pour d'autres usages. A présent, ces masses gigantesques, éreintées, inutiles et immuables, stagnent dans la désolation de leur désolation de leur désormais lointaine raison d'être.
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les formes noires à l'horizon se muant d'ici en ailerons de monstres marins immobiles, à l'affût au large, en direction desquels une vaste plaine couleur d'encre, sillonnée de traits d'écume.
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Le nom d’Arromanches est passablement oublié. Il n’a pas grand-chose en commun avec ces noms que le monde entier connaît, ni avec ces lieux que leur dénomination écrase, efface, disproportionnée par rapport au patelin qu’elle désigne ; ainsi de Verdun, de Waterloo ou de Gettysburg. Toutefois, aussitôt associée à quelques autres – à une petite constellation de noms fleurant bon le chewing-gum, le maïs en conserve et la cigarette blonde, venus se répandre à l’été 1944 le long des plages normandes, inscrits d’abord, avant de l’être dans les mémoires, sur des cartes d’état-major par des stratèges qui, de ces plages, de ces patelins, ne savaient que leur configuration dessinée sur du papier cassant et qui, dans l’indifférence aux vieux noms de pays les ayant précédés, sans égard pour les lentes sédimentations étymologiques ni les strates d’histoire vernaculaire dont ils sont formés, ne rebaptisaient les lieux que dans le but de transformer le paysage en théâtre des opérations, usant ainsi de noms qui devenaient noms de code et, en tant que tels, sont passés à la postérité : Omaha, Sword, Utah ou Juno Beach -, alors Arromanches s’agrège à nos souvenirs du récit usuel du débarquement allié. Et si ses sonorités évoquent moins l’odeur de tabac blond ou du chewing-gum que celle des étables et des embruns, elles y prennent leur place au même titre que celles des noms de guerre.
Ce nom, nous l’avons entendu prononcer dans des salles de classe où l’on pouvait suivre, sur des cartes aux contours cornés, aux couleurs fanées, punaisées au mur, les reliefs découpés des côtes sur lesquelles les événements s’étaient déroulés ; nous l’avons vu inscrit dans des livres où, sur des plans mêmement colorés, un appareil schématique de flèches et de pictogrammes ajoutait au récit l’autorité d’une image experte. Enfant, on ne l’apprend pas vraiment, on oublie ça vite, une fois passée l’interrogation écrite qui atteste qu’on a pris la peine de se mettre cette page sous les yeux et qui semble alors le seul horizon de nos connaissances.
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