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Critique de kielosa



L'auteur d'origine marocaine sait de quoi il parle, puisque cela fera bientôt 3 décennies qu'il vit et travaille dans le pays des polders. En Hollande, où après avoir enseigné l'économie et les sciences environnementales à l'université d'Amsterdam, il y enseigne, depuis 2006, la littérature française et la culture arabe. Fouad Laroui a appris le Néerlandais en lisant des journaux avec un dictionnaire et a obtenu la nationalité néerlandaise en 1995.

Le parcours de l'auteur d'Oujda, près de la frontière algérienne, où il est né en août 1958 à Amsterdam est tout bonnement impressionnant : à 10 ans le lycée français à Casablanca ; en 1977 l'École Nationale des Ponts et Chaussées à Paris ; retour au Maroc et travail comme ingénieur civil ; retour à Paris et diplômé en économétrie ; 1990 Amsterdam, 1992-1995 spécialisation aux universités de Cambridge et York en Angleterre.

En 1996, Fouad Laroui a publié son premier livre "Les dents du topographe", qui a remporté le Prix Découverte Albert-Camus. Depuis la liste de ses publications est tellement longue que l'on peut se poser la question s'il lui arrive de se reposer ! Il a reçu en France le Prix Goncourt de la Nouvelle, en 2013 et l'année suivante le Grand Prix Jean Giono. Aux Pays-Bas, lui a été décerné l'important Prix Edgar du Perron pour l'ensemble de son oeuvre. Son premier livre écrit directement en Néerlandais avait le titre amusant
"Étranger ? Enchanté !" (en 2001).

Le nombre de Marocains aux Pays-Bas s'élève à presque 400.000, soit 2,3 % de la population globale. Parmi les personnalités, il convient de mentionner Ahmed Aboutalib, depuis 10 ans maire de Rotterdam et Ahmed Marcouch depuis 2 ans D Arnhem. La présidente de la 2ème Chambre du Parlement s'appelle Khadija Arib, qui s'est prononcée contre l'ouverture de mosquées et écoles orthodoxes.

Un autre écrivain apprécié d'origine marocaine se nomme Hafid Bouazza, qui comme Laroui est né à Oujda mais en 1970, et qui a eu un très grand succès avec son roman "Paravion" en 2003. Une histoire sur ceux qui partent et ceux qui restent dans des villages marocains à l'écart et qui reçoivent du courrier "par avion" des villageois fraîchement émigrés.

Dans un très court avant-propos d'à peine une page, l'auteur raconte que durant une dizaine d'années il a noté dans un minuscule carnet une multitude d'anecdotes en vue de mieux comprendre ce qu'il nomme le "Marocanus polderiensis". Fouad Laroui ajoute gentiment que s'il arrive à illustrer que cette espèce humaine n'est pas tout à fait pareille à un autochtone, ni pour autant complètement différent, il aura atteint son but.

C'est à quoi s'emploie l'auteur avec sa vaste culture arabe, française, anglaise, néerlandaise et son esprit précis de mathématicien et économiste.
Avoir opté pour la voie des anecdotes relève, à mon avis, d'un choix judicieux dans la mesure où l'anecdote illustre souvent mieux la réalité qu'une explication théorique et qu'en plus elle reste manifestement plus longtemps ancrée dans la mémoire, certainement si l'anecdote frappe par son aspect humoristique.

Ci-après donc suivent quelques exemples qui vont dans ce sens.

Un matin l'auteur reçoit un coup de fil d'un pote qui lui demande pourquoi les femmes marocaines ne roulent pas à bicyclette ? Surpris, il se met fébrilement à réfléchir et trouve 2 explications : d'abord c'est contraire à la dignité féminine et ensuite c'est un signe de pauvreté. Par la suite, une 3ième lui vient à la tête : la bicyclette est totalement absente dans la tradition poétique arabe. Si celle-ci connaît au moins 3 douzaines de mots pour désigner un cheval, le moyen de transport favori des Bataves n'y figure absolument pas. C'est vrai que ce n'est guère facile de trouver en Arabe classique un terme qui rimerait avec "aérodynamique" par exemple.

Dans une cour de justice, un père marocain veut aller en appel contre son propre fils. Celui-ci avait été arrêté pour tentative de vol avec effraction d'une boutique à Rotterdam. le juge, clément à cause de l'âge du jeune, l'avait condamné à une sanction alternative de 240 heures d'entretien d'un jardin public, à la fureur du père qui estimait que son rejeton devrait se retrouver derrière les barreaux et qui demanda au juge s'il pensait vraiment que son fiston deviendrait un honnête homme en arrosant des pâquerettes ?

L'auteur cite aussi quelques anecdotes entre Marocains et non Marocains en dehors des Polders. Un Oussama Bendriss est devenu Sam Bendriss sur le conseil d'un fonctionnaire des douanes des États-Unis et un autre citoyen avait droit à la remarque : "Mohammed ? Vous ne trouvez pas que vous avez déjà la peau assez foncée ?"
Notre auteur se sentait choqué lorsqu'une secrétaire de l'universite d'York lui demandait si elle ne pouvait pas l'appeler tout simplement "Fred" au lieu de Fruwad, Fawud ?
Une minorité d'immigrés dont on ne parle pratiquement jamais est la diaspora chinoise au Royaume de Guillaume-Alexandre, et bizarrement certains jeunes Chinois étaient offusqués qu'on les ignore à ce point.
Comme quoi il s'avère délicat de trouver la juste mesure !

En Flandre nous avons également une écrivaine originaire du Royaume chérifien, Rachida Lamrabet, dont les vues sont proches de celles de Fouad Laroui. En 2017, cette écrivaine et avocate a sorti un essai important "Zwijg, allochtoon" - 'Tais-toi, allochtone' - dans lequel elle se penche plus particulièrement sur le statut de la femme parmi les immigrés musulmans et dont je ferai une critique sous peu. Dans son ouvrage, Laroui lui jette d'ailleurs des fleurs.

J'ai apprécié ce livre parce que j'admire les efforts de Fouad Laroui de jeter des ponts entre les 2 communautés de façon sympathique, ce qui tranche avec les éternelles rengaines simplistes d'une droite populiste et nationaliste en Europe.
Comme le dit un ancien proverbe français : "La tolérance est mère de la paix".
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