La Sagesse de la mer : Du cap de la Colère au Bout du monde

Il n'est pas facile de capter le bonheur, quand on est entouré de gens qui ne sont que des êtres de raison bourrés de bon sens.

Un autre français, Bernard Lavilliers, reprend les mots des Anciens dans l'un de ses textes les plus suggestifs : « il y a trois sortes de gens : les morts, les vivants et ceux qui sont en mer. »
C'est beau, mais est-ce la vérité ?

Le Rustica et moi avions cherché un port pour l’hiver après trois mois de navigation dans les eaux celtiques, depuis Loch Skipport, sur South Uist, au nord, jusqu’à Baltimore, au sud. Cela avait été une période inoubliable, de celle où l’on peut se remémorer avec précision chaque jour de sa vie.

Je pense à ce qu’a dit Ian Nicholson à propos du mal de mer et de ses deux stades : le premier, au cours duquel on pense qu’on va mourrir, n’est rien à côté du second, au cours duquel on comprend qu’on ne va pas mourrir.

 mon avis, il y a beaucoup de choses à apprendre de la fréquentation de la mer. Entre autre l'humilité, la ténacité, la patience, la collaboration et la vigilance. Mais avant tout la liberté. Cest naturellement un paradoxe. Sur un bateau, on est prisonnier comme nulle part ailleurs. (...) Mais en même temps on est plus libre qu'en aucun autre endroit sur terre. Plus libre devant l'horizon illimité, de rêver à toutes les vies possibles et impossibles.

Avoir sans cesse ces vents violents dans les oreilles même si l'on est ancré de façon sûre, finit par être lassant. La situation a encore empiré du fait que, plusieurs jours de suite, nous avons reposé sur le fond pendant une heure à chaque marée basse. Nous étions arrivés à Baltimore juste au moment où l'amplitude est la plus grande et la hauteur d'eau ne suffisait pas pour le tirant du Rustica.

Que fait-on, au cours de journées pareilles ? va-t-on me demander. On lit de bons livres, on bavarde, même si cela ne va pas très loin, on fait la cuisine et on mange, on écoute de la musique et la radio, volontiers dans quelque langue étrangère et exotique, on répare quelque chose sur le bateau, on prépare la suite du voyage ou de futures expéditions en navigant à sec sur la carte marine et portant des caps et des distances, on reste assis dans le cockpit à regarder le ciel, l'eau et la nature, on boit une bouteille de vin le soir venu. Pour ma part, en plus de cela, je polie des pierres et j'écris des livres. Tant que j'ai ce qu'il faut à bord, ce n'est pas une punition pour moi de ne pouvoir gagner la terre pendant quelques jours. La seule chose qui puisse me taper sur les nerfs c'est le vent et le fait que jamais, pas une seconde, il ne se tait. On s'habitue certes, mais pas à tout et pas éternellement. Au bout d'un moment, on est capable de distinguer la chute d'une aiguille, au milieu du hurlement du vent.

C'est cela la belle vie ; une page blanche. Une histoire qui n'a pas encore commencé.

Qu’avions-nous en commun ? Sans doute un rêve, celui de pouvoir naviguer en toute liberté et rencontrer des êtres et une nature rendant absurde la question du sens de la vie.
(p. 31, Chapitre 3, “Rencontres”).

La vie doit être ponctuée au plus de virgules, de points-virgules et de points de suspension. Le point final sera de toute façon mis un jour.

En suédois, ainsi que dans certaines autres langues que je connais, le mot « compromis » possède des connotations négatives et est toujours associé à quelque chose qui pourrait être mieux. En politique, dans l’art et en matière de rapports humains, le compromis est considéré comme une solution de fortune assez piteuse, avec laquelle il faut se débrouiller faute de mieux. La démocratie, par exemple, est l’un de ces compromis, puisque c’est la moins mauvaise des formes de gouvernement.
J’ose affirmer que cette façon de voir n’est pas seulement totalement erronée, mais qu’elle est également dangereuse. L’être humain et les relations entre les gens sont infiniment complexes et difficiles à sonder, bien plus encore que le comportement d’un bateau face aux vagues et au vent. L’idée que l’heur et le malheur des hommes puissent être réglés d’une seule et unique manière n’est que de l’aveuglement et une façon de prendre ses désirs pour des réalités.