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Critique de Sofiert



Rares sont les romans qui contiennent autant de points d'interrogation. Sans doute parce qu'une question est au coeur du roman de Bjorn Larsson : comment est-on juif, question qui en implique tant d'autres que le roman se transforme parfois en essai pour tenter d'y répondre.

Tout commence avec la mort de la mère. Et la révélation pour Martin, généticien quinquagénaire, que sa mère est une rescapée d'Auschwitz, qu'elle a changé d'identité et s'appelait en réalité Gertrud, qu'elle a caché à tous et à son fils en particulier sa judéité , pour "lui donner la liberté de choisir qui il voulait être".

Martin peut donc choisir d'être juif ou pas. S'il ne révèle pas le secret de sa mère, il ne sera pas juif aux yeux des autres et pourra continuer son existence de bourgeois athée. Mais s'il annonce à son entourage que sa mère était juive, il accepte implicitement d'être juif puisque la règle établit que la transmission s'effectue par la mère. Or Martin est davantage tenté par une troisième option, qui lui permettrait d'affirmer son indépendance et de déclarer qu'il ne souhaite pas être juif, même si sa mère l'avait été. D'autant plus qu'il apprend qu'elle a également sacrifié sa vie de couple en refusant d'épouser le père de Martin qui était également juif.
Avant d'être philosophique puis culturelle, la réflexion de Martin est d'abord religieuse : " Lui-même ne croyait pas en Dieu, alors pourquoi devrait-il consacrer du temps à se plonger dans le judaïsme."

Ce qui rend le questionnement de Martin encore plus intéressant, c'est qu'il examine la question de l'identité sous l'éclairage de la génétique avec les réflexions qui l'ont déjà mené à l'écriture d'un livre sur le sujet. Ses travaux l'avaient déjà mené sur la piste d'une étude qui affirme qu'il n'existe pas de différences génétiques entre israéliens et palestiniens. Martin était convaincu de la justesse de cette étude, bien que certaines personnes aient simultanément lancé des projets de recherche "afin de trouver des gènes qui pourraient identifier les Juifs parmi d'autres groupes ethniques, et en particulier, de dresser un mur génétique entre les Juifs et les autres peuples sémites, surtout des Palestiniens."
C'est donc cette position qu'il défendra lorsqu'il interviendra au cours d'un colloque qui va bouleverser sa vie et celle de sa famille.
"Il affirma en conclusion que toute pensée selon laquelle l'identité et l'appartenance ethnique étaient fondées sur la génétique relevait de la pure idéologie et non de la science."

La deuxième partie du roman développe les réflexions de Martin qui va mener une étude approfondie sur l'histoire, la religion, la culture et l'identité juives. le lecteur est ainsi convié à partager les multiples références qui se disputent son attention. Levinas, Harendt, Sartre, Elie Wiesel, Primo Levi, Imre Kertesz et tant d'autres sont convoqués pour lui permettre d'éclaircir sa relation avec le judaïsme et consolider ses positions face à l'antisémitisme. ( la bibliographie de Martin est disponible à la fin du roman).

La part narrative braque en effet le projecteur sur le harcèlement vécu par sa fille de 11 ans suite à ses prises de position. Bjorn Larsson a volontairement émis de situer géographiquement son roman, ce qui lui permet de dénoncer la montée en puissance de l'antisémitisme dans de nombreux pays ( cette dénonciation a une résonance toute particulière aujourd'hui ).
Ce qui est terrifiant, c'est que à partir du moment où le mot "juif" fait son apparition dans la vie de Martin, sa famille se retrouve menacée. Sara est bousculée au collège, traitée de "sale enfant de juif" et le pire est à venir.
Avant même d'avoir pu faire un choix, Martin est déjà condamné par l'opinion publique et assigné à une judéité dont il ignorait tout. Si le prix à payer pour appartenir à une communauté est parfois élevé, celui qui refuse de l'intégrer se met davantage en danger.

Ce qui ressort de la position humaniste de Martin, inspirée de Hannah Arendt quand elle affirmait ne pouvoir aimer – ou haïr – aucun « peuple », que ce soit le peuple juif, américain, français ou prolétaire, mais seulement des individus, c'est qu'il ne se reconnaît pas dans "une identité juive" qui recouvre tellement de prises de position contradictoires et de décisions politiques et idéologiques qu'il désapprouve. Par contre, il réaffirme sans ambiguïté sa position contre l'antisémitisme qu'il combat avec la même conviction que le racisme, le sexisme ou l'homophobie.

Si je n'ai pas été convaincue par l'écriture de Bjorn Larsson que j'ai trouvée assez monocorde, le dilemme initial sur lequel est bâti le roman est d'une totale pertinence.
Le mélange entre réflexion philosophique sur l'exercice du libre arbitre et la fiction d'un homme en quête d'identité est parfois bancal, mais la troisième partie relève le défi avec brio.
En se confrontant à l'impératif " il faut savoir d'où on vient, pour savoir qui on est", Martin manifeste une profonde lucidité qui va l'amener vers celui qu'il veut devenir.

Ce livre exigeant trouve des résonances dans une actualité complexe et permet d'aborder le conflit entre Israël et la Palestine avec un point de vue argumenté. C'est donc en tant que tel qu'il mérite d'être abordé, loin de toute polémique.

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