Les maudits

Les chimères, elle connaissait mieux que quiconque, puisqu’elles étaient en grande partie son gagne-pain. Les mythes, les panthéons des dieux, les êtres fantastiques, les animaux légendaires… Tout ce qui faisait partie du monde paranormal n’avait plus de secret pour elle, mais qui pour croire que de telles fables, en réalité, n’étaient pas qu’une question d’imagination ?

— Deviens ce que tu dois devenir...Cesse de l’enfouir en toi, cesse de ne pas y croire. Tu es le feu. Tu es le titan. Tu es l’un des gardiens des quatre Flammes. Tu as vaincu la mort et tu peux la vaincre encore.

Chacun de nos choix porte à conséquence. Mais oser faire le bon au moment où il se présente n’est pas donné à tout le monde, notamment quand notre propre vie est en jeu. 

« Une Sentinelle, trois Veilleurs. Par quatre, toujours.
Et ces Veilleurs patientaient eux aussi, tapis dans l’ombre, l’âme emplie d’une magie ancestrale qui ne demandait qu’à être libérée. Enfin. »

— Sois maudit, Sentinelle ! Sois MAUDIT ! Toi et ta morveuse ! Oui, je vous maudis ! Jamais vous ne connaîtrez le repos ! Jamais ! Pour toujours, vous serez séparés, même dans la mort ! Jusqu’à la fin des temps ! Jusqu’à ce que je le trouve ! Et je le trouverai ! Oh, oui ! Sois sûr que je le trouverai, dussé-je le chercher durant des siècles entiers ! Soyez… MAUDITS !

Incrédule, Eloé le regarda de travers en se demandant ce qui était le plus absurde : qu’un hérisson coloré et un aigle surdimensionné soient doués de parole ou que le premier, douze tailles de moins qu’elle, suggère de lui servir de chevalier protecteur. Adebran, lui, avait eu droit à une louve, un guépard et un chacal, et à elle, on osait refourguer un ridicule hérisson ?

— Deviens ce que tu dois devenir, scanda la voix de Zerethe au creux de son esprit. Cesse de l’enfouir en toi, cesse de ne pas y croire. Tu es le feu. Tu es le titan. Tu es l’un des gardiens des quatre Flammes. Tu as vaincu la mort et tu peux la vaincre encore. Deviens ce que tu dois devenir ou tu mourras ici, parmi nous, et nous nous repaîtrons de ton corps sous les yeux de ton amie, avant de la déguster elle aussi. Tu es votre salut. Alors, renais ! Ici et maintenant !

Dans son ventre, ses ovaires, prêts à être fécondés, lui faisaient un mal de chien. À cette heure-ci, déjà, elle aurait dû porter un nouvel enfant, le plus exceptionnel de tous mais, une fois de plus, cette bande d’humains chanceux avait réussi à détourner ses plans.

"Mais la chance ne dure jamais longtemps, mes agneaux. Jamais. Elle tourne, tourne, tourne et un jour, elle vous échappe, tandis que moi… je vous écharpe."

Quand elle se trouvait contrariée, et en cette fin de nuit, elle l’était plus que jamais, il lui fallait du sang, de la peur et des viscères.

— Ha ha ha ! Même ton Veilleur est diminué ! Vous n’êtes rien pour moi. Rien d’autre que de vulgaires jouets pas plus gros que de petites, minuscules, ridicules fourmis. Et les fourmis, chérie, ça s’écrase !

Même dans ses yeux à la couleur si peu ordinaire, elle n’avait rien lu d’autre que du mystère et une alarme s’était allumée au fond de son crâne.
Dangereux.
Oui, il était dangereux et elle devait s’en méfier. Les habitants de Lorbières-les-Châteaux croyaient au diable et peut-être bien, effectivement, que le diable s’était glissé parmi eux, sous les traits gracieux du jeune homme.