Je suis veuve de tous ces corps mutilés qui ne pourront plus aimer et qui remplissent les pages de nos faits divers, corps d’hommes morts trop jeunes, corps de femmes mortes trop belles.
Fin de la scène. Le tout a duré quelques secondes à peine. Personne n’y a prêté attention. Rien à signaler. Le soleil brille. On dirait que rien ne s’est passé dans cette rue. La vie reprend son cours. Pas de quoi écrire un roman.
On a bien failli te classer dans la chronique Un monde insolite à cause de ce papier, mais finalement c’est moi qui ai hérité du dossier, et demain, je te présenterai dans la chronique de faits divers que j’écris chaque jour, oh, pas grand-chose, presque rien, deux ou trois lignes sur toi, et tout le monde aura vite oublié, sauf que moi, moi je n’oublie pas, et tous les cas qui t’ont empêchée de dormir, je les connais, je les écris, je m’en souviens, je n’oublie pas, non, et voilà un cas de plus qui m’empêchera de dormir cette nuit, et les nuits suivantes, quand je compte-rai dans ma tête les petits corps avant de sombrer dans un sommeil agité. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.
Si seulement, si seulement j’arrivais à détacher mes yeux de ton visage, un peu livide, c’est vrai, mais encore si joli pourtant. Si jeune et déjà cadavre, je me répète, déjà cadavre, comme un titre un peu morbide, roman de ta vie, est-ce que ça te convient, dis-moi, ma jolie ? Déjà cadavre.