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Critique de LiliGalipette


Qui connaît Marie Geneviève van Goethem, cadette d'une famille belge très pauvre installée à Paris ? Personne. Tout le monde. Au moins tous ceux qui ont un jour vu la sculpture d'Egdar Degas, cette fameuse Petite danseuse en cire qui a fait scandale au Salon des Indépendants lors de sa présentation. Largement défendue et admirée par Joris-Karl Huysmans – ce qui n'est pas étonnant, connaissant le bonhomme –, cette oeuvre a déchaîné les passions et souvent la haine. « Il s'agit bien pour Degas, avec cette sculpture, de susciter un étonnement, un choc salutaire qui ouvrent la conscience du spectateur en lui présentant non une oeuvre élégante destinée à flatter son goût esthétique, mais le drame d'une société, auquel il contribue. » (p. 61) Largement décriée et moquée, elle s'est entourée de mystère : Degas l'a longtemps soustraite aux regards et la petite statue de cire n'a été redécouverte qu'après la mort de l'artiste.

Derrière cette oeuvre, il y a le modèle, petite danseuse de 14 ans. « L'âge du modèle crée une autre sorte de tension ou d'incertitude entre l'enfant et la femme, l'innocence et la sensualité, qui fascine l'artiste. » (p. 91) Entre deux cours à l'Opéra de Paris, posait pour des artistes, dont Edgar Degas. La jeune Marie, comme ses soeurs, ne danse pas pour le plaisir : c'est un métier imposé par leur mère, une vie de souffrance et de répétitions interminables. « Dans les années 1880, elle dansait comme petit rat de l'Opéra de Paris, et ce qui fait souvent rêver nos petites filles n'était pas un rêve pour elle, pas l'âge heureux de notre jeunesse. » (p. 9) Souvent absente de l'Opéra, Marie finit par en être exclue et sa trace disparaît peu après. Qu'est devenue celle qui a donné son image à l'une des plus célèbres sculptures d'Edgar Degas ? « Savait-elle, quand elle posait dans son atelier, que grâce à lui elle mourrait moins que les autres petites filles ? » (p. 10) Que reste-t-il de Marie ? Dans quelle mesure subsiste-t-elle dans la statue ? Fascinée par l'oeuvre de Degas, Camille Laurens s'est prise d'intérêt pour la gamine, sa jeunesse et son histoire. C'est une façon de la faire revivre, de la libérer de l'étreinte de cire dans laquelle l'artiste l'a figée. « À force d'être modelée par le désir et la vision de Degas, n'avait-elle plus qu'à s'effacer ? » (p. 144)

Je n'ai jamais beaucoup apprécié cette sculpture : d'Edgar Degas, je préfère les peintures. J'ai cependant été profondément émue par ce texte qui célèbre la volatilité de la jeunesse, parfois conservée, voire emprisonnée dans une gangue de cire ou de bronze. Camille Laurens propose aussi un regard sur une époque que l'on a un peu tendance à fantasmer : or, les coulisses de l'Opéra étaient de sordides espaces où les mères vendaient plus ou moins leurs filles dans l'espoir de la gloire. La petite danseuse de quatorze ans m'a donné envie de revoir les toiles de Degas, mais aussi d'assister (enfin) à un ballet à l'Opéra de Paris.
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