La métaphysique est suspendue à l’expérience même de l’acte dont je dispose, mais qui me dépasse du dedans par la puissance qui l’alimente et du dehors par les effets qu’il me permet de produire.
Le chemin qui conduit vers la métaphysique est particulièrement difficile. Et il y a peu d’hommes qui acceptent de le gravir. Car il s’agit d’abolir tout ce qui paraît soutenir notre existence, les choses visibles, les images et tous les objets habituels de l’intérêt ou du désir. Ce que nous cherchons à atteindre, c’est un principe intérieur auquel on a toujours donné le nom d’acte, qui engendre tout ce que nous pouvons voir, toucher ou sentir, qu’il ne s’agit point de concevoir, mais de mettre en oeuvre, et qui, par le succès ou par l’échec de notre opération, explique à la fois l’expérience que nous avons sous les yeux et la destinée que nous pouvons nous donner à nous-même.
La réflexion est la prise de possession par la conscience de l’activité qui me fait être.
Puisque l’acte est l’origine de lui-même et de tout ce qui est, il est aussi créateur de ses propres raisons.
Toute création se produit donc sur le chemin qui sépare l’acte participé de l’acte absolu : elle mesure la distance qui les sépare ; de telle sorte que de cet acte lui-même on peut dire à la fois qu’il ne crée rien, si l’on veut dire qu’en s’engendrant lui-même éternellement il se suffit entièrement à lui-même, et qu’il crée tout ce qui est, si l’on veut dire qu’il offre à la participation une possibilité surabondante, qu’elle ne cesse de mettre en oeuvre, mais qu’elle n’épuisera jamais.
Le mot acte doit être préféré au mot activité.
Je ne suis que par un acte que j’accomplis moi-même intérieurement, acte toujours à l’oeuvre, même quand je ne le fais pas mien, et qui, dès que j’y participe, est toujours juge de lui-même et médiateur entre la connaissance et le vouloir : il est le coeur et le secret de la création.
Les philosophes ont toujours cherché quel est le fait primitif dont tous les autres dépendent. Mais le fait primitif, c’est que je ne peux ni poser l’être indépendamment du moi qui le saisit, ni poser le moi indépendamment de l’être dans lequel il s’inscrit. Le seul terme en présence duquel je me retrouve toujours, le seul fait qui est pour moi premier et indubitable, c’est ma propre insertion dans le monde.
La spontanéité et la réflexion ne se distinguent l’une de l’autre qu’à l’échelle humaine. C’est de leur partage précisément que résulte la condition même de notre initiative et de notre indépendance.
La conscience de l’acte se réalise par un retour sur soi qui nous conduit vers une analyse de la réflexion.