Citations sur La Reine Rouge, tome 2 : La Clé du menteur (49)
Mieux vaut un monde façonné par le libre arbitre. Même si cela implique de laisser des sots faire ce que bon leur semble.
[Jalan] Moi, quand je nage, je me noie à l’horizontale.
- Je suis sûr que l’un d’entre vous triche…
- C’est une idée fausse couramment répandue chez les perdants. Si par « tricher » tu entends « appliquer son intelligence à une situation donnée et faire œuvre d’analyses statistiques poussées, alors, oui, nous trichons tous les deux.
Le monde est façonné par les désirs et les craintes de l'humanité. L'espoir livre une guerre contre la terreur, il combat un substrat que les hommes eux-mêmes ont autrefois rendu malléable, même s'ils ne savent plus comment. Les hommes et toutes leurs créations, dressés sur des pieds d'argile, attendent d'être formés et reformés, mais la peur forge le noir tréfonds de chaque âme, et ils deviennent des monstres attendant de dépecer le monde.
Je lui présentai une couronne d'argent entre deux doigts pour le distraire de sa peine.
- Soit je te donne cette pièce, soit je t'offre le plus précieux conseil que je connaisse. Un sage me l'a confié autrefois, et je ne l'ai encore jamais partagé.
En entendant cela, Snorri tendit l'oreille et nous dévisagea d'un air narquois.
- Alors ?
Plissant le front sous l'effet de la concentration, Hennan nous regarda tour à tour, moi et mon sou, avant de focaliser son attention sur ce dernier.
- Je... (Il tendit la main, la retira.) Je... Le conseil, laissa-t-il échapper du bout des lèvres.
Je hochai la tête d'un air entendu.
- Il faut toujours prendre l'argent.
Hennan me regarda empocher le sou et m'emmitoufler dans ma couverture sans comprendre. Snorri pouffa de rire.
- Mais... Hé !
Chez Hennan, la confusion avait laissé place à la colère.
- Il faut toujours prendre l'argent. Un conseil qui vaut de l'or, petit, conclut Snorri.
Quelle chose admirable que la peur ! Non seulement elle vous pousse à courir bien plus vite que vous vous en seriez cru capable, mais elle vous accorde de surcroît une force que vous ne devriez en toute logique pas posséder.
Cela me peinait de l'admettre, mais le sang de ma grand-mère avait bel et bien fini par parler. Snorri et Tuttugu avaient déjà mentionné mon... handicap à nos hôtes. Dans le Nord, patrie de ceux qui se bagarraient avec les trolls, être un « berserker » ne manquait apparemment pas de cachet, mais n'importe quel individu aux facultés mentales non altérées vous dirait combien ce qualificatif est encombrant. La bataille m'a toujours – à raison – terrifié, et l'idée que je me changeais en cinglé se ruant dans la mêlée, avide de sang, lorsque l'on me chahutait trop n'était pas faite pour me réconforter. L'avantage décisif du sage consiste à toujours déceler l'instant idéal pour fuir. Or, ce genre de stratégie de survie est quelque peu entravée par une propension à jeter toute appréhension aux orties, la bave aux lèvres. La peur est denrée précieuse, le bon sens comprimé à son état pur. Il n'est pas bon d'en manquer. Fort heureusement, il en fallait beaucoup pour éveiller le berserker qui était en moi, et à ma connaissance, la transformation ne s'était opérée que deux fois. La première au col d'Anal, et la seconde au Fort Noir. Si l'expérience ne se reproduisait plus jamais, cela me conviendrait parfaitement.
Rejetez trop vigoureusement votre passé, et vous abandonnerez la personne qui l’a vécu. Si vous vous rognez vous-même, vous pouvez vos réinventez, c’est vrai, mais en agissant de la sorte on révèle souvent un être humain de moindre valeur, et au final il ne restera plus rien.
Tout le monde l'appelle le Palais Pauvre. Il y a un si grand nombre d'années que cela en devient absurde, cet endroit était le siège d'un pouvoir royal. Plus tard, un illustre inconnu a décidé que ce n'était pas assez bien pour lui et a fait bâtir un toit de meilleure qualité au-dessus de son trône. Depuis ce jour, le Palais Julian accueille les aristocrates sans le sou qui ont imploré la clémence de la Reine Rouge. Des nobles pour qui les temps sont durs, trop âgés ou trop limités par leur ascendance consanguine pour savoir rafistoler leur fortune, des généraux rattrapés par la vieillesse alors qu'ils enterraient plus jeune qu'eux... L'endroit comptait même un duc ruiné par le jeu. Une fable moralisatrice, à n'en pas douter.
Les enfants avaient cependant une façon bien à eux d’espérer, ce qui dépassait l’entendement des adultes. Ils portaient devant eux, à deux mains, leurs rêves fragiles, attendant que le monde les fasse trébucher.