Hôtel de la Folie

Himmler, personnage des plus infâmes, qui bientôt orchestrera l’extermination des Juifs d’Europe, et aussi des Tziganes, des homosexuels… Pyrrhus eût pu le poignarder au cœur, l’égorger, l’empoisonner, devenir un héros. Il a préféré casser la croûte avec lui. À sa condamnation morale, pas de circonstances atténuantes.
(pages 95-96)

Tes photos sont un leurre : elles racontent une vie merveilleuse, sublime, de villégiature en villégiature, de fêtes en moments de joie. Tu donnais le change, solaire et exubérante, à ton aise quand il s’agissait de prendre la pose. Si sûre de toi que je peine à faire le lien avec la grand-mère que j’ai aimée.
(page 18)

Humilié, spolié, expérimentant à ses dépens les petits désagréments d’une dictature. Il se garde bien de dire du mal de son maître. Il cible ses sbires, les militaires, cette engeance, et toi qui crains la politique plus que la gale tu comprends le subterfuge, l’aveuglement, son besoin de continuer à croire en cet homme (Fanco) qu’il sert depuis dix ans avec le dévouement d’un laquais.
(page 126)

Elle avait beau aimer les livres, sa libération, elle l’envisageait par les hommes, exclusivement par les hommes. Elle visait les étrangers, un marchand d’armes saoudien, le frère d’un dictateur africain logé à l’année au Plaza. Et comme toi elle se méfiait de ces Français qui, disait-elle, « avalent leur chiasse et croquent leur merde ».
(page 162)

Maman refusait de travailler, de se marier et tu étais inquiète. L’argent que tu lui donnais aussitôt s’envolait (mais pourquoi continuer à lui en donner ?). Tu l’avais couvée, tu l’avais gâtée, élevée sur un piédestal, et tu avais fini par créer un monstre, un monstre à la physionomie douce et innocente.
(page 137)

Pourquoi il faut absolument rentrer, supporter la fureur de maman dont tu dis toi-même « elle est folle, il faudrait la faire interner ».
(page 42)

Pourquoi et comment es-tu venue en France ? Par quels moyens as-tu réussi, toi, huitième d’une fratrie de treize, sans un diplôme, sans travail déclaré, des parents ruinés, oui, par quels moyens as-tu réussi à constituer ce patrimoine dans les beaux quartiers de Paris ?
(page 38)

Tu sais la fugacité du moment. Tes mains s’accrochent aux siennes, et ce n’est pas seulement lui que tu essaies de retenir mais aussi le temps qui passe. Le temps qui passe, s’assombrit, le temps qui inquiète, le temps qui fait peur puisque, la guerre inévitable, il ne pourra que vous séparer.
(page 71)

Il m'arrive parfois de penser à eux à présent, à leur supplice, à cet Hôtel de la Folie qu'ils n'ont pas connu, à la fatalité qui les a frappés. Dans une famille, il faut que certains paient pour que d'autres jouissent.

Nous avions passé près de quatorze ans côte à côte, dans une intimité que j'ai renoncé à retrouver avec quiconque, et à ton sujet je n'avais pas le moindre petit bout d'histoire.
Tu m'as laissé ainsi, sans épopée pour me nourrir, sans ces anecdotes qui font la joie des repas de famille, sans un récit, même minuscule.