Méprisant depuis toujours les maîtres qui ont des mœurs d'esclaves comme les esclaves impatients de se glisser dans la peau des maîtres, j'avoue que les affrontements habituels entre les hommes et les femmes ne m'ont guère préoccupée. Ma sympathie va plutôt à ceux qui désertent les rôles que la société avait préparés pour eux.
Les spécialistes en matière de coercition ne s'y trompent pas, multipliant avec un zèle subit les organismes nationaux ou internationaux consacrés à la condition féminine, sans pour autant que la législation change réellement. Ils ne sauraient d'ailleurs beaucoup se fourvoyer depuis qu'Aragon, chantre de la répression depuis près d'un demi-siècle, a annoncé que la femme est "l'avenir de l'homme".
J'ai les plus grands doutes sur cet avenir quand il peut lui arriver de prendre les traits d'Elsa Triolet.
Pendant que le vieux monde s'essouffle à se rénover, les femmes acquièrent lentement une indépendance, mais une indépendance de consommateurs. Le néo-féminisme sert à les presser d'accéder à ce bonheur, venant les conforter dans une identité de pacotille qui ne vaut qu'à la lumière des échanges marchands et des rapports de force qui les engendrent.
Contre l'avachissement de la révolte féministe avec Simone de Beauvoir, contre le jésuitisme de Marguerite Duras et de Xavière Gauthier, contre le poujadisme de Benoîte Groult, contre le débraillé d'Annie Leclerc, contre les minauderies obscènes d'Hélène Cixous, contre le matraquage idéologique du choeur des vierges en treillis et des bureaucrates du M.L.F., désertez, lâchez tout.
Le féminisme, c'est fini.
Je sais que la vie s'invente toujours contre ces rôles que la plupart, comme d'habitude, acceptent avec une docilité frivole.
Ma sympathie va plutôt à ceux qui désertent les rôles que la société avait préparés pour eux. Ils n'ont jamais la prétention de construire un monde nouveau, et c'est en cela que réside leur honnêteté fondamentale : ils ne feront jamais le bien des autres malgré eux, se contentant d'être les exceptions qui dénient la règle avec une détermination souvent capable de bouleverser l'ordre des choses.
En effet, si le principal mérite de la psychanalyse est de n'avoir cesse d'établir, de confirmer et d'enrichir de maints développements l'intuition de Rimbaud que «Je est un autre », voilà que son simulacre néo-féministe ne cherche rien moins qu'à enfoncer dans toutes les têtes féminines que "Je" renvoie inéluctablement au Même, à savoir au crétinisant nous de la femellitude.
La misère des rapports humains ne tient pas plus à un sexe qu'à l'autre.
Les voilà menacées par le plus insensé bourrage de sexe, en comparaison duquel toute prise de possession phallique s'avère bien éphémère (le phallus se retire toujours), quand on considère le matraquage de l'allaitement providentiel et textuel qui semble constituer l'arme absolue de cette colonisation de l’espace féminin : « Voilà pourquoi, comment, qui, ce que, j'écris : le lait. La nourriture forte (c'est moi, qui souligne). Le don sans retour. L'écriture aussi, c'est du lait. Je nourris. Et comme toutes celles qui nourrissent je suis nourrie. Un sourire me nourrit. Mère je suis fille : si tu me souris, tu me nourris, je suis ta fille. Bonté des bons échanges. » (Helene Cixous, La venue à l'écriture, p. 54.) Ne serait-ce pas pour éviter aux femmes de se laisser un jour empoisonner par cette bouillie de conneries que Picabia a rêvé de La fille née sans mère?
Oscar Wilde m'intéresse plus que n'importe quelle bourgeoise qui a accepté de se marier et de faire des enfants et qui, un beau jour, se sent brimée dans sa très hypothétique créativité.