Il en arrivait des dizaines chaque jour au terme de leur transhumance. S'entassaient dans l'attente que les portes s'ouvrent vers un nouveau monde. Un cul-de-sac. Une nasse. La "jungle". Des centaines de tentes et d'abris de fortune serrés les uns contre les autres. Une odeur tenace de misère. Un incessant bruissement de bâches animées par le vent du large. Des silhouettesfantomatiques. Des milliers d'Azad portés par l'inébranlable espoir d'une vie meilleure...
Le faisceau des phares prenait toute la rue, rasait les murs, l’emprisonnait déjà. Elle força l’allure. Ses pleurs accompagnaient chaque foulée. Derrière elle, tout se rapprochait. Le crissement de la lame, le martèlement des talons…Elle s’arrêta, tambourina à la première porte.
— Aidez-moi ! S’il vous plaît ! sanglota-t-elle. S’il vous plaît !!
Des pneus crissèrent. Des portières s’ouvrirent dans un claquement de charnières. Léa cogna, hurla plus fort.
—Au secours ! Aidez-moi ! Au secouuurs !
Sa voix se brisa sur un sanglot. Une main l’agrippa par les cheveux, la ramena sur le trottoir. Un coup de poing dans les côtes la plia en deux. Des bras la soulevèrent d’un geste. Elle résista encore, moulina des bras et des jambes. Un coup en plein visage. La douleur lui monta au cœur. Elle se sentit défaillir. Un sac lui recouvrit la tête. Un nœud lui serra le cou. Elle allait mourir. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle allait mourir.
— C’qui ? Hihihi…C’est Od’lon. Od’lon L’roy.
Un putain de taré !
— Je veux juste vous parler. Odilon, lâchez-moi. Je suis flic, merde !
— Od’lon l’aime pas l’poulets. Hihihi
Voghel remua des jambes. Les balança de tous côtés.
— C’qui qu’on va d’couper comme l’cochon ? Hihihi
Une brute décérébrée ; la pire des espèces.
Le policier décolla sèchement le semi-automatique de sa poitrine, appuya sur la détente, tressauta sous l’impact. La balle sectionna le plexus brachial, traversa l’omoplate. Un jet de sang et de morceaux d’os éclaboussa le visage d’Odilon. Voghel blêmit sous la douleur. Sourde. Brûlante. Elle irradiait l’épaule, le bras. Plus de sensation dans la main. Des picotements dans les doigts. Il appuya de nouveau sur la détente. Un choc violent derrière la nuque, un second puis d’autres. Des coups de tête comme des frappes de base-ball. La vision du policier se troubla. Le pistolet s’échoua sur la terre battue. La peur se distilla en lui. Impossible de la raisonner. Ce malade allait le suspendre, le…Une silhouette à sa droite. La pointe en acier du merlin le toucha au front. L’élancement fusa jusqu’au cœur. Noir.