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Critique de BazaR


BazaR
27 novembre 2016
Les méconnues éditions « Aux Forges de Vulcain » viennent de publier un ensemble d'essais qu'Ursula le Guin avait consacré aux littératures de science-fiction et de fantasy dans les années 1970. Je ne pouvais décemment pas rater ça !
Je dois dire que j'ai été particulièrement surpris. Je ne m'attendais pas à trouver une pensée aussi structurée et sûre d'elle, plutôt éloignée de ma propre vision. de fait, je ne connaissais d'elle que ses quatre premiers romans de l'Ekumen et c'est très insuffisant pour faire le tour de ce vaste intellect épris de taoïsme.

Ursula le Guin intègre dans ses réflexions sur la science-fiction et la fantasy des éléments auxquels je n'aurais jamais eu l'idée de songer. Sa quasi-définition de la fantasy comme plongée dans sa part d'ombre et de mal et acceptation de son existence, à l'aune de la philosophie jungienne qu'elle définit avec une grande clarté, permet une relecture des oeuvres majeures du genre selon un angle nouveau particulièrement enrichissant. Ursula parle beaucoup du Seigneur des Anneaux et en donne une interprétation tellement plus riche que la simple distraction pour adolescent et qui me servira beaucoup quand j'en lirai la nouvelle traduction.
De même, son analyse sur la science-fiction qui exalte le capitalisme et reproduit à grande échelle le colonialisme britannique (référence aux empires des space-opéras), ignorant le socialisme, le féminisme et l'art, éclaire d'une lumière amère ce domaine que j'aime beaucoup. Sur ce point, je crois que tout ce qui a été écrit depuis en SF et est susceptible d'amender l'opinion de l'auteur. Je me demande ce qu'elle pense aujourd'hui d'oeuvres telles que le cycle de Mars de Kim Stanley Robinson (où le socialisme est prégnant) ou les premiers tomes de Ender d'Orson Scott Card.

Ursula le Guin nous donne aussi des clés sur la manière dont elle a créé ses oeuvres majeures (déjà écrites à l'époque) : comment Terremer est né, pourquoi la construction des « Dépossédés » n'est qu'un emballage raffiné de la rencontre d'un auteur et d'un personnage. C'est fascinant car c'est un processus qui m'est totalement étranger, très éloigné de ma façon trop cartésienne de construire les rares écrits que j'ai commis ou abandonnés.

Cependant les phrases d'Ursula le Guin m'ont parfois fait bondir. Si j'ai apprécié qu'elle établisse une ligne de défense inspirée contre ceux qui croient que les littératures de l'imaginaire sont une perte de temps, j'ai beaucoup moins goûté les mots durs qu'elle emploie lorsqu'elle établit les frontières entre « ce qui vaut la peine de lire et d'écrire » et « ce qui n'est que de la soupe ». Ses critères de qualité – des personnages vivants et forts, des récits qui parle de nous en profondeur – correspondent peu ou prou à ce que je classe personnellement dans l'excellent. Mais elle rejette comme « de la merde » des pans entiers de lectures que je trouve bons, agréables et divertissants : par exemple les pulps de SF des années 50 (« j'ai cessé de lire de la science-fiction vers la fin des années 40. On n'y parlait plus que de matériel et de soldats ») et les comics (« ils ne voient pas la différence entre les Batman et les Superman des usines commerciales, qui fabriquent des balivernes à grande échelle, et les archétypes éternels de l'inconscient collectif »). Quelle nécessité ressent-t-elle de dénigrer à ce point des domaines dont je pense qu'elle ignore le contenu, qu'elle estime à tort dépourvu de ses (en partie du moins) ? Ce genre d'agression caractérisée ne la rend pas moins condamnable que ceux qui l'agressaient, elle, dans ses goûts prononcés pour l'imaginaire.
Bon, je sur-réagis moi aussi car je me suis parfois senti agressé par une auteure que j'apprécie, comme si l'un de vos mentors vous disait « tu aimes les comics et les mangas ? donc tu es idiot. » Ursula le Guin ne traduit peut-être que sa seule opinion et laisse libre chacun de lire ce qu'il veut, mais si c'est le cas elle a mal choisi ses mots qui peuvent créer la confusion chez les lecteurs qui aiment la lire mais aime aussi lire autre chose.

Cet ensemble d'essais n'est à mon avis pas destiné à être lu une fois puis oublié. On peut y revenir, relire des passages et réfléchir à nouveau dessus. de cette première lecture, je retiens surtout la pensée structurée de l'auteur qui enrichira mes interprétations de lecture. Je rejette en revanche les dénigrements outranciers qui veulent restreindre mon champ d'exploration.
Je retiens aussi que je dois reprendre la lecture de ses romans, ce que je n'ai pas fait depuis très, très longtemps.
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