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Critique de Henri-l-oiseleur


Entendons-nous d'abord sur l'adjectif "littéraire" que Léautaud a choisi pour son journal : toute sa vie, passée au Mercure de France, il a côtoyé et fréquenté des littérateurs aujourd'hui bien oubliés ; il a écrit des critiques dramatiques, puisqu'en ces années-là le théâtre garde la place prééminente qu'il avait à l'époque des frères Goncourt. Mais Léautaud ne lit pas beaucoup, ne s'intéresse nullement aux événements et nouveautés esthétiques et littéraires, ne connaît de Proust que deux pages, de Céline rien, et ne comprend même rien aux oeuvres et à la pensée de son ami de jeunesse Paul Valéry. Des Surréalistes, nulles nouvelles. Ses idées littéraires sur le style sont vieillottes et naïves : la "spontanéité", le "naturel" sont plutôt des qualités morales et sociales qu'artistiques. Il déteste le mot "art" au nom de ses illusions sur la "nature" en littérature. Il a horreur de la culture et du savoir, au point de déconseiller l'usage du dictionnaire aux écrivains. Léautaud est un esprit étroit, peu cultivé, qui se vante de son ignorance, du haut de laquelle il distribue bons et mauvais points.

Cela dit, on ne lit pas jusqu'au bout les 1200 pages de ce volume (sur les dix-neuf tomes du Journal en édition complète), sans se prendre d'un certain attachement pour l'homme. Pour son époque, il pense mal : hélas, ses mauvaises pensées n'étaient subversives qu'en 1920 (antimilitarisme, antipatriotisme, anticatholicisme, etc), car elles sont devenues aujourd'hui des opinions obligatoires. Sa subversion est notre doctrine officielle. Cependant l'homme Léautaud a eu ces mauvaises pensées en son temps, par indépendance ombrageuse, par goût de la liberté, refus de tous les conformismes du temps. Il paie cet anticonformisme daté d'une grande pauvreté matérielle, et jusqu'à la fin de sa vie, refuse prix et prébendes pour ne devoir rien à personne. Nous sommes loin des rebelles subventionnés contemporains, des "Limousine Liberals" des USA, de nos bobos. Au détour des pages, d'ailleurs, le lecteur s'enchantera de trouver des passages qui ont gardé leur fraîcheur de pensée libre, encore capables de choquer les sensibles âmes blanches d'aujourd'hui.

Enfin, comme beaucoup de misanthropes, Léautaud aime passionnément les animaux, qui tiennent une place immense dans sa vie, plus que dans son journal. Il est un vrai Parisien, un piéton de Paris. Cette ville, aujourd'hui plus morte que Pompéi hantée des touristes, revit sous sa plume, ainsi que la banlieue des pavillons, où commence (hélas) à beugler la TSF. Cet ancien temps vivant dans le Journal est un des plus grands charmes de l'ouvrage.

Il faut donc se défier du titre, qui n'est littéraire que dans un certain sens fort étroit (le milieu littéraire). Léautaud d'ailleurs, au fil des pages, nous appelle à la défiance, seul moyen de rester libre et de ne pas trop se laisser abêtir.
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