Ce livre écrit pour la jeunesse recèle plus d'une surprise.
Sakari est la jeune héroïne du roman, nous pouvons admirer son frais et juvénile minois sur la couverture du livre et son prénom serait « synonyme de douceur » en Inuktitut, la langue des Esquimaux, selon son ami Kaspar (page 15). C'est pourtant elle qui plonge ses deux poignards de chaque côté du cou d'un officier à genoux dont elle vient de trancher les tendons au niveau des rotules (page 123). Peu habitué aux livres actuels destinés à la jeunesse, je révise donc mon jugement sur les jeunes héroïnes modernes, que j'imaginais plus douces et pleines de mansuétude (mes références en la matière étant
le Club des cinq et
la famille Tant-Mieux d'
Enid Blyton).
Certes, nous ne sommes pas chez les Bisounours, loin s'en faut, et les ours blancs ici présents, défendent chèrement leur coin de banquise… Heureusement, les Ursus – des ours parlant géants qui semblent tout droit sortis des Royaumes du Nord de
Philip Pullman – sont du côté des bons. Mais il s'en est fallu de peu, car c'est bien Sakari la va-t-en-guerre de service qui est envoyée en mission diplomatique pour rallier ces gros nounours à la cause de Thulé.
Le deuxième sujet d'étonnement est le vocabulaire et le style utilisés. Pour donner le goût de la lecture à des jeunes, l'auteur ne craint pas d'émailler son récit d'envolées lyriques et grandiloquentes, notamment dans les chapitres de transition, et de truffer son texte d'un vocabulaire assez savant nécessitant un lexique en fin de volume. On se familiarise cependant assez vite avec les hummocks (monticules formés par des plaques de glace qui se rencontrent sur la banquise et se chevauchent les unes les autres) et les nunataks (pointes rocheuses escarpées laissées à découvert par la calotte glaciaire). le fait que mon ordinateur ne souligne pas d'une ligne rouge crantée ces deux mots suffit à me prouver qu'ils existent bel et bien, alors merci Monsieur Lebeau.
L'histoire en elle-même est assez basique, et l'auteur n'hésite pas à recourir à quelques artifices faciles puisés dans l'héroic fantasy : magie noire, esprits, mécanismes ancestraux et technologiques construits-par-on-ne-sait-qui-mais-qui-peuvent-déclencher-des-ouvertures-de-tunnels-mystérieux dans la banquise.
Le propos se veut écologique, mais sans plus. Notre monde va-t-il disparaître ? Oh-mon-Dieu-mais-oui… parce que c'est écrit, et d'ailleurs la seule question à se poser c'est quand ? Malgré de belles pages décrivant de magnifiques paysages de glace et de neige, nous ne sommes pas chez Nicolas (
Nicolas Hulot ou
Nicolas Vanier, au choix). Une postface alibi rappelle toutefois le devenir des ours polaires en quinze lignes.
Signalons pour finir la superbe couverture sur fond métallisé de
Cali Rézo, une artiste douée pour les portraits et peignant ses tableaux avec un stylet sur ordinateur.
La fin de l'histoire laisse entrevoir un tome 2, paru en octobre 2011. le tome 3 devrait paraître au printemps 2012. Les personnages et les décors étant plantés, la saga peut continuer. Je remercie Babelio et l'éditeur Rageot pour cette découverte des Banquises de Feu, feu qui, comme chacun sait, couve sous la glace. On peut donc logiquement parier pour les prochains épisodes de la saga sur 1) le réchauffement de la planète ; 2) le réchauffement de Sakari ; 3) le réchauffement de la relation entre Kaspar et Sakari.