Le plan des savants de l'âge d'or a parfaitement abouti. Leur nouvelle religion a envahi le monde, le mettant à leur merci ; ils l'ont modelé à leur guise. Ils en ont fait, à leur bénéfice, un paradis monastique, régimenté. Comme modèle pour le monde des fidèles, ils se sont inspirés du Moyen-Âge et sont allés repêcher une charmante coutume : le servage. Oh ! Ils l'ont un peu amélioré, ils en ont fait une institution saine et bien ordonnée, et ils y ont ajouté par-ci, par-là, une pointe d'esclavage. A part ça, ils n'y ont rien changé.
Bien sûr, ils ont évité la barbarie. En l'établissant !
Dans une demi-conscience, Goniface comprit qu'il venait d'assister au dernier grand triomphe de la Hiérarchie.
La balance semblait pencher de leur côté – la victoire complète était à portée de leurs mains – mais cela n'y changeait plus rien. Après des débuts discrets et hésitants, la Hiérarchie s'était enfin décidée à relever le défi lancé par la Sorcellerie – mais cela n'y changeait rien non plus. Victoire ou défaite, le dernier grand moment était passé. La Hiérarchie, la forme de gouvernement la plus parfaite que le monde eût jamais connue, était maintenant sur son déclin. Des hommes ambitieux se lèveraient peut-être encore, des rivalités pour le pouvoir personnel surgiraient. Mais ce seraient des ambitions de deuxième ordre, des rivalités secondaires.
Il avait vu s'évanouir le dernier grand moment. Et ce moment même avait revêtu un caractère désespéré et spasmodique, irréel dès son dénouement comme la dernière charge d'un fauve mourant, ou le dernier effort physique d'un homme avant de se résigner à la vieillesse.