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Critique de Bouteyalamer


Ce livre qui interroge notre maturité — sous réserve que les hommes y parviennent – expose à une lecture grotesque. Après Augustin d'Hippone, Montaigne, Rousseau et quelques autres, Leiris annonce dans sa trop longue préface « De la littérature considérée comme une tauromachie » qu'il va produire une confession sincère, où il s'exposera comme le matador menacé par la corne qui n'a d'autre choix que de mourir ou de donner la mort. L'excès romanesque est doublé d'une obsession adolescente pour le nu académique que le jeune Leiris guette dans le Nouveau Larousse Illustré, dans les musées, puis dans une mauvaise reproduction de Cranach. Ce peintre prolifique représente toujours la même femme : déhanchement, torsion du cou, seins de fillette, demi-sourire ambigu, paupière lourde, oeil bridé et regard de dangereuse victime. Dans l'image qui obsède Leiris, Lucrèce et Judith dénudées portent un symbole phallique, le glaive, instrument du suicide de Lucrèce et de la décollation/castration d'Holopherne pour Judith. Cranach a peint les deux femmes à de multiples reprises ; Leiris s'et enflammé sur la mauvaise reproduction d'originaux perdus ; Gallimard « corrige » dans l'édition de poche par une image de Judith et sa servante richement vêtues. Enfant gâté puis jeune dandy, il rapporte par le menu ses flirts malheureux, ses cuites et ses virées au bordel, suivies de hontes qui l'entrainent au suicide ou à l'émasculation (mais il cherche le cyanure et le rasoir chez des amis qui vont le dissuader). Plus tard, voyageur en Afrique (il deviendra ethnologue), il ne rapporte à son lecteur que la crasse et l'image d'une femme dominante, excisée, doublée d'une esclave.

« Si je pense à l'amour absolu — cette conjonction, non de deux êtres (ou d'un être et du monde), mais bien plutôt de deux grands mots — il me semble qu'il ne saurait s'acquérir que moyennant une expiation, pareille à celle de Prométhée puni d'avoir volé le feu. Châtiment qu'on s'inflige afin d'avoir le droit de s'aimer trop soi-même, telle apparaît donc, en dernière analyse, la signification du suicide. Et si l'on considère maintenant Cléopâtre non plus seulement en tant que femme à la vie déréglée (en tant que femme bafouant ses amants) mais en qualité de créature se supprimant, l'on s'aperçoit qu'elle résume ces deux aspects de l'éternel féminin, ma Lucrèce et ma Judith, avers et revers d'une même médaille » (p 141). L'amour absolu, Prométhée, Cléopâtre, l'éternel féminin, ma Lucrèce, ma Judith : on n'y croit guère, ou, dans la position bienveillante du thérapeute, on s'agace de la verbosité.

Pourtant la panoplie surréaliste-analytique est surpassée par de grandes pages sur le rêve, la lassitude, la satiété, la convoitise, le sacré, qui méritent lecture, relecture et méditation (voir p 174-5), particulièrement le dernier chapitre, « Le Radeau de la Méduse », où Leiris acquiert la maturité de l'âge d'homme : « Je mesure mes actes et mes goûts à leur juste valeur, je ne me livre plus guère à ces burlesques incartades, mais tout se passe exactement comme si les constructions fallacieuses sur lesquelles je vivais avaient été sapées à la base sans que rien m'eût été donné qui puisse les remplacer. Il en résulte que j'agis, certes avec plus de sagacité, mais que le vide dans lequel je me meus en est d'autant plus accusé. Avec une amertume que je ne soupçonnais pas autrefois, j'en viens à m'apercevoir qu'il n'y aurait pour me sauver qu'une certaine ferveur mais que, décidément, ce monde manque d'une chose POUR QUOI JE SERAIS CAPABLE DE MOURIR » (p 200).
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