Voici une chronique délicate, très délicate. En effet,
Vous n'aurez pas ma haine est entre la nouvelle, la biographie et l'exutoire. L'auteur l'a rédigé après la mort de sa femme, tuée lors des attentats du Bataclan. Comment alors rédiger la critique d'une oeuvre aussi personnelle ? Quels mots choisir pour donner notre impression face à la reconstruction du veuf ? Qu'avons nous le droit de dire d'un texte aussi honnête ?
Vous n'aurez pas ma haine est un ouvrage inclassable. La critique que l'on peut en faire l'est tout autant. Difficile de parler d'autre chose que des réactions que les mots de l'auteur ont provoqué dans votre coeur et votre estomac de lecteur. Impossible de dire du mal de l'histoire que vit et nous raconte en toute intimité l'auteur. En effet, on a envie de mesurer chacun des mots que l'on emploie pour parler de
Vous n'aurez pas ma haine car derrière ce titre long, fort et devenu incontournable, se cache un texte qu'on lit comme si la narrateur racontait son histoire sur le divan d'un psychologue, dans le confessionnal d'une église, à un ami, un proche. Bref, comme s'il ne s'interdisait jamais de vous parler de tout ce qu'il se passe dans son quotidien, dans sa tête, dans son coeur et dans ses tripes depuis la mort de sa femme, Hélène, et depuis qu'il est seul avec son tout petit garçon, Melvil. On respecte, on l'écoute.
Vous n'aurez pas ma haine vous arrachera sans doute quelques larmes. Mais pourquoi ? Pourquoi l'auteur, qui est un homme comme vous et moi, ce qui renforce encore plus l'authenticité du texte et de l'histoire, a-t-il décidé de coucher sur le papier ses faits et gestes post-attentat, alors qu'une poignée de terroristes infâmes ont tué l'amour de sa vie et la mère de son enfant ? Pendant un peu plus de cinquante pages, il ne montrera pas une seule seconde un quelconque sentiment de haine, même si les auteurs du crime commis ce soir-là dans la petite salle de concert parisienne ne méritent que ça. Dans son ouvrage, il nous fait presque oublier ce qu'il s'est réellement passé. Jamais le narrateur ne mettra en effet réellement de mots concrets sur la monstruosité de l'attentat ; jamais le narrateur ne nommera véritablement les coupables. Non, l'auteur n'est pas là pour ça. Et il saura frapper ailleurs. L'auteur est là pour son fils ; avant tout, il n'est plus que là pour lui. Il en oublie un peu le lecteur qui subit la dureté de la situation. Il parlera des gens qui viennent l'entourer avec bienveillance, il parlera de son fils qui, parfois, se demande, il parlera du corps qu'il est allé reconnaître à l'institut médico-légal. Il ne s'adressera pas à son lecteur ; son lecteur est là en tant qu'exutoire. Poser des mots qui seront lus sur le papier pour décrire le deuil et la vie après la mort d'un être aimé et indispensable jusqu'alors. Enseigner au lecteur qu'on n'a pas le temps d'éprouver de la haine, qu'il y a mieux à faire parce qu'on est attendu par nos proches, nos enfants, nos familles. Se confier à lui à chaque détour de page. Mais derrière la tristesse omniprésente se cache un espoir d'optimisme décuplé alors par cette envie de ne pas nommer ni détester les meurtriers.
On ne doutera pas une seule seconde que cette lecture servira sans aucun doute avant tout aux malheureuses autres victimes des meurtres commis au Bataclan. Quand je parle des victimes, je parle ici de ceux qui restent et subissent une perte. Ceux qui, comme l'auteur, comme Antoine, doivent "vivre avec" et continuer malgré tout. Pour les autres, ceux qui ont la chance de ne pas avoir vécu l'enfer de la mort d'un proche tué froidement lors d'un attentat,
Vous n'aurez pas ma haine est tout autre chose, mais surtout parfois inconfortable, mais dur, toujours.
Je me suis sentie mal pendant ma lecture ; l'auteur est tellement honnête que je me suis sentie un peu l'âme d'un voyeur, provoquant un inconfort constant malgré toute la douceur de la plume inoffensive du narrateur. Inoffensive, pas complètement, car elle sait se montrer bien trop souvent impitoyable tellement elle rend encore plus dur que ce qu'on a pu imaginer le "juste après" des attentats, de la mort, puis le deuil. Mais elle est belle, aussi ; car le narrateur sait employer des mots simples mais forts pour décrire alors des sentiments tout personnels comme personne.
J'accorde ★ ★ ★ ☆ ☆ à
Vous n'aurez pas ma haine. Difficile de ne pas basculer dans un sujet politique dans cette critique avec un livre aussi franc et avec la réaction inattendue de celui qui a perdu sa femme. Mais je ne le souhaitais pas. L'auteur ne m'aura cependant pas convaincue une seule fois de ne pas détester les meurtriers. Lui, se consacrera au bonheur de son fils qu'il doit élever seul, d'où toute l'importance compréhensible de ne pas éprouver de haine pour qui que ce soit afin qu'il grandisse dans de bonnes conditions. Je n'ai pas d'enfants, je n'ai pas non plus perdu quelqu'un dans un attentat terroriste ; je ne peux en aucun me mettre à la place de l'auteur et je ne peux que témoigner de sa franchise touchante. Je le félicite pour le courage dont il a fait preuve d'avoir pris la plume après la perte de sa femme alors que d'autres auraient pris les armes pour venger les leurs. Et ça, c'est remarquable.
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