Citations sur Miroir de nos peines (360)
La misère est une institutrice infaillible. Louise apprit en quelques heures à prononcer les mots qui convenaient selon qu'elle sollicitait un homme ou une femme, quelqu'un de jeune ou de vieux, à présenter le visage empourpré par la confusion ou la main tendue du désespoir.
"Alors, jeune homme, comment voyez-vous votre travail dans ce service ?
- A, E, I, O, U", avait répondu Désiré.
Le sous-directeur, qui connaissait son alphabet, se contenta d'un regard interrogatif. Désiré reprit :
"Analyser, Enregistrer, Influencer, Observer, Utiliser. Dans l'ordre chronologique : J'Observe, j'Enregistre, j'Analyse et j'Utilise pour Influencer. Influencer le moral des Français. Pour qu'il soit au plus haut."
Le sous-directeur comprit immédiatement qu'on lui avait confié la crème de la crème.
Les confidences sont comme un collier de perles, quand le fil cède, tout défile.
Qu'on ne se méprenne pas, Désiré n'était pas un homme à femmes. Ce n'était pas faute d'occasions, car ses multiples incarnations lui avaient bien souvent attiré les faveurs fémlnines. Avocat ou chirurgien, pilote d'avion ou instituteur, il plaisait. Or c'était une règle à laquelle il n'avait jamais dérogé : jamais de femmes pendant le service. Avant, oui ; après, volontiers ; mais pendant, jamais. Désiré était un professionnel.
- J'étais un gros, tu comprends. C'est très spécial, les gros. On adore se confier à eux, mais c'est jamais d'eux qu'on tombe amoureux.
M. Jules dut sentir que le ridicule guettait, il se racla la gorge.
- Alors, je me suis marié avec... Bon Dieu, je ne me souviens même pas de son prénom. Germaine !
C'est ça, Germaine... Elle est partie avec un voisin et elle a eu rudement raison.
Jour après Jour le Reich progressait, l'héroïsme des soldats français et alliés chargés de résister trouvait sa limite dans la position stratégique des deux camps. Tôt ou tard, on serait face aux Allemands et dos à la mer. Ce serait un massacre ou une déroute, peut-être les deux, plus rien alors ne s'opposerait à l'invasion du reste du pays, Hitler pourrait être à Paris en quelques jours. Désiré en aurait fini avec la guerre. En attendant, il travaillait.
- Bonsoir à tous. Monsieur R., de Grenoble, me demande ce que nous savons « sur l'état réel des dirigeants du Reich ».
- Musique.
- Si l'on en croit Radio-Stuttgart, Hider est aux anges. Nos services d'espionnage et de contre-espionnage nous livrent, eux, des informations autrement plus gênantes pour le Reich. D'abord, Hider est très malade. Il est syphilidque, ce qui n'a rien d'étonnant. Même s'il a tout fait pour le cacher, Hitler est homosexuel, il a d'ailleurs attiré auprès de lui quantité de jeunes hommes pour assouvir ses fantasmes, personne n'a jamais eu de nouvelles d'eux. Il ne dispose que d'un seul testicule et souffre d'une impuissance irréversible qui l’a rendu fou. Il mord les tapis, arrache les rideaux, reste prostré pendant des heures. Du côté de son état-major, la situation n'est pas meilleure. Ribbentrop, disgracié, s'est enfui avec le trésor des nazis. Goebbels sera bientôt jugé pour trahison. Faute de chefs lucides et sains d'esprit, l'armée allemande est condamnée à faire la seule chose qui ne demande pas de réflexion : foncer droit devant elle. Nos chefs d'armée l'ont parfaitement compris, qui la laissent s'épuiser dans cette course folle et la stopperont dès qu'elle n’offrira plus de résistance, ce qui ne saurait tarder.
- Dites-moi, sergent, vous avez quand même le contact avec l'artillerie ?
Les artilleurs étaient postés à quelques kilomètres de là. En cas d'attaque, c'était eux qu'on solliciterait pour arroser l'autre côté du fleuve afin de tenir l'ennemi à distance.
- Vous savez bien, mon capitaine, répondit Gabriel, on n'a pas le droit de communiquer avec l'artillerie par radio...
Le capitaine se massait le menton, perplexe. L'état-major se méfiait des transmissions sans fil qui pouvaient trop facilement être interceptées. Les demandes de tirs devaient se formuler exclusivement par le lancement de fusées. Or, justement, le lieutenant rencontrait là un petit problème :
- On nous a équipés de lance-fusées automoteurs tout nouveaux, mais, dans l'unité, personne ne sait s'en servir. Et il n'y a pas le mode d'emploi.
Au loin, la cime des arbres se teintait de nouveau du rougeoiement des tirs dont la pluie assourdissait les échos.
- Sans doute les troupes françaises qui harcèlent les Boches, dit le lieutenant.
Gabriel, sans bien savoir pourquoi, se souvint de la devise du général Gamelin : « Courage, énergie, confiance. »
- Sans doute..., répondit-il. Ça ne peut être que ça...
Lorsqu'il brancha sa première fiche, il tomba sur la conversation d'un deuxième classe de Vitry-le-François avec sa fiancée.
- Tu vas bien, mon chéri ? commença-t-elle.
-Tsst tsst tsst, dit Désiré. Pas de mention concernant le moral des troupes.
On sentit la jeune fille désarçonnée; elle hésita, puis:
- Au moins, il fait beau ?
- Tsst tsst tsst, dit Désiré. Rien sur les conditions météorologiques.
Un long silence s'ensuivit.
- Chérie...
le soldat attendit qu'on l'interrompe. Rien ne vint, il se lança:
- Dis-moi, pour les vendanges...
- Tsst tsst tsst. Le vin français est une donnée stratégique.
le jeune soldat passa à la colère, il n'y avait vraiment pas moyen de discuter. Il décida d'arrêter là.
- Bon, écoute, trésor...
- Tsst tsst tsst. Aucune mention concernant la Banque de France.
Silence
La jeune fille enfin se risqua:
- Bon, bah, je vais te laisser...
- Tsst tsst tsst, pas de défaitisme !
Désiré était très en forme.
(page 112-113)
La présence de quelques soldats isolés, hagards et résignés, désarmés, l'uniforme débraillé, traînant les pieds, achevait de donner à cet ensemble une allure de naufrage et de renoncement. À l'affolement des populations jetées sur les chemins par l'offensive allemande s'ajoutait la débâcle de plus en plus patente de leur armée.
- Le Français entretient avec son poste de TSF une relation intime, quasiment charnelle. Il a le sentiment que le speaker lui parle, ne parle qu'à lui. Rien n'est plus indiqué que la radio pour maintenir la confiance du pays.