Citations sur Miroir de nos peines (361)
En parlant avec Louise, il se sentait entrer en convalescence après la longue maladie qu’avait été son enfance.
Le crépuscule, qui en fait souvent trop, donnait à cet instant une gravité poignante.
- Je n'ai jamais aimé qu'elle..., répétait-il.
Au fur et à mesure que les troupes allemandes avançaient, déchirant le pays, les solidarités entre Français avaient fondu, les relations s'étaient durcies, les intérêts particuliers s'étaient réveillés, plus vifs que jamais, l'égoïsme et le court terme avaient pris le dessus et personne n'était mieux placé que des étrangers pour en faire l'incessante et douloureuse expérience. " Va réclamer de la flotte à ton roi !" avait-on entendu répliquer à un Belge qui demandait un verre d'eau.
L'usage gouvernemental consistant à ne pas pardonner aux plus pauvres le millième de ce qu'on autorisait aux plus riches était déjà bien établi, il n'empêche, c'était très triste.
L'armée française acceptait sans états d'âme d'envoyer des contingents entiers de soldats se faire massacrer, mais ne supportait pas que l'un d'eux soit un criminel. Ca la vexait, l'armée, elle se sentait salie.
Les deux soldats avancèrent dans ce décor de fin du monde, à croire qu'ils étaient les uniques survivants de la catastrophe.
-Ah, ils sont beaux les Français ! disait Raoul.
L'exclamation choqua Gabriel.
- Nous aussi, on s'enfuit...
Raoul s'arrêta en plein milieu de la rue déserte.
- Pas du tout ! Et c'est toute la différence, mon petit père. Les civils s'enfuient, les militaires, eux, font retraite, nuance !
Raoul aimait bien Gabriel. Au pont de la Tréguière, il s'était montré courageux. Lui était colérique, faire exploser un pont était dans son tempérament, toute son enfance il avait dû lutter contre la violence, la bagarre lui était naturelle. Mais de la part de ce petit professeur de mathématiques, c'était plus surprenant, Raoul l'avait trouvé très bien.
..la manière dont s'étaient rassemblés les prisonniers était un autre sujet d'inquiétude. Les communistes méprisaient les anarchistes qui haïssaient les espions présumés qui eux-mêmes vomissaient les insoumis, ajoutez à ça la position respective des saboteurs, des réfractaires, des défaitistes et supposés traîtres qui tous exécraient les droits-communs qui eux-mêmes faisaient clairement la différence entre les voleurs, les escrocs, les pilleurs et les assassins qui pour rien au monde ne se seraient mélangés aux violeurs. Ah oui il y avait aussi quelques spécimens d'extrême-droite que tout le monde appelait les "cagoulards"...
Louise n'avait aucun souvenir de son père, il n'était qu'une photographie désuète, alors que tout la rapprochait de sa mère. Elle avait été aussi aimante qu'elle avait pu, mais la dépression l'avait terrassée, avait fait d'elle un fantôme.
Louise avait passé une partie de son enfance à se préoccuper d'une mère peu vivante, mais dont elle se sentait proche. Parce qu'elles se ressemblaient. Louise n'avait jamais su si c'était ou non une bonne chose. Sur l'image figée qu'elle avait sous les yeux, c'était le même visage qu'elle, la même bouche et, plus que tout, les mêmes yeux d'une clarté rare.
Pour la première fois depuis la disparition de Jeanne, elle eut envie de lui parler, regretta de n'avoir pas su le faire quand il était encore temps.
La diversité des véhicules qui circulaient sur cette nationale semblait une vitrine du génie français. A quoi il faut ajouter la variété de ce que tous transportaient, valises, cartons à chapeau, édredons, bassines et lampes, cages à oiseaux, batteries de cuisine, malles en fer, niches à chien. Le pays venait d'ouvrir la plus grande brocante de son histoire.