Classique récit d'apprentissage porté par une large part d'autodérision.
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J’avais beaucoup de mal à mettre en application le proverbe À chaque jour suffit sa peine. La peine appréhendée du lendemain, du surlendemain et des autres jours me hantait. À la peine du jour s’ajoutait le poids de devoir la revivre jusqu’à la fin de l’été. Je me sentais très lourd et nous devions escalader un mur et sauter de l’autre côté. J’ai roulé au sol comme il était prescrit de le faire, pour amortir la chute, ensuite j’ai eu l’impression de ne plus jamais pouvoir me relever, je me demandais si j’en aurais été capable si un camarade ne m’avait pas tendu la main pour m’aider.
Ma vie à Valcartier était une attente, j’attendais la fin, la fin de l’été, la fin de mon service militaire. Espoir, la fin brillait comme le soleil, m’éclairait. Désespoir, elle disparaissait, je paniquais, plongé dans le noir. Puis elle pointait au loin, s’élevait, m’éclairait à nouveau, je me remettais à voir.
Je songeais à ceux qui avaient fait la guerre, dans les tranchées et tout, pour de vrai, avec de vraies balles. Une autre façon de relativiser mon malheur.
Je savais être sage pour mon âge, on me l’avait parfois dit, et ça ne m’empêchait pas de faire le fou comme tout le monde quand il le fallait, de boire, de tomber, de brouter du gazon. Autrement dit, j’étais un être complet.
En plus de savoir écrire des poèmes, j’étais capable d’endurer l’entraînement militaire. En plus de savoir m’objecter, j’étais capable d’obéir bêtement, par exemple de rester étendu de très longues minutes sur des nids de fourmis.
Les chansons étaient toujours faciles à apprendre. Après avoir entendu deux strophes, nous connaissions le reste, le principe. J’ignore qui les inventait, si elles faisaient partie du patrimoine militaire ou s’il incombait aux sous-officiers d’en composer, d’en improviser. En tout cas, elles existaient, on dirait bien. Elles donnaient en plus un certain ton publicitaire à notre compagnonnage.
L’effort physique avait au moins la vertu de garder occupé, il me sauvait d’une certaine manière, il me soustrayait au redouté devoir social, mais j’étais bien content d’avoir fini de forcer avec mon corps, contentement qui me rendait parfois un peu plus sociable. Paradoxe.