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Citations sur Les métamorphoses de Dieu : Des intégrismes aux nouvelles.. (26)

(...) : comprendre l'homme religieux moderne. ce dernier, en effet, n'est sans doute pas moins religieux qu'avant : il l'est autrement.
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Un certain nombre d'analystes (et nous en sommes) entendent récuser cette opposition radicale entre religion et modernité. Comme je m'en expliquerai, modernité et religion sont véritablement en symbiose, ils s'incluent mutuellement plus qu'ils ne s'excluent. De même que la conception d'une modernité qui éliminerait inéluctablement le religieux est un leurre, de même les notions de "désécularisation" ou de "fin de la modernité" sont tout aussi illusoires.
L'un des fils rouges de cet ouvrage consistera à rappeler que le religieux n'a jamais disparu dans la modernité, mais qu'il se transforme au contact de la modernité, comme il a contribué à la façonner.
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L'homo universalis est la figure clef d'une trajectoire de la modernité qui, bien que présente dès l'origine, ne va pas être celle qui donnera le la à l'ensemble, qui précisera la norme. Cette modernité peut être définie comme assumant l'autonomie du sujet et la raison critique, mais proposant un regard pluriel sur le réel à la fois par le biais de la raison et de l'intuition, de la logique et du ressenti, de l'analyse méthodique et de l'intelligence du coeur. Elle est aux antipodes du type univoque de rationalité qui se développera par la suite et donnera naissance au mécanisme, à la réification, à la quantification et à la marchandisation du monde. Marginalisée, elle va s'exprimer à travers une dynamique culturelle, intellectuelle, religieuse, artistique, sociale qui entend résister à l'autre modernité, dominante, celle de "l'homme unidimensionnel" qui s'accommode d'un monde désenchanté, purement rationnel, sans poésie, sans mythe et sans mystique, qui, au nom de la légitime lutte contre les aliénations et pour les progrès de la connaissance, confond superstition et spiritualité, imaginaire et obscurantisme. Tandis que "l'homme universel" admet plusieurs niveaux de réalité, tant en lui-même que dans le monde, "l'homme unidimensionnel" ne perçoit qu'un seul niveau : celui qu'il peut appréhender par sa raison logique. L' "homme unidimensionnel" est directement issu de Descartes et de son projet de lire l'ensemble du réel à travers la méthode mathématique et la ratio. L'homme universel renvoie à la première Renaissance, celle de Paracelse, de Pic de la Mirandole ou de Marsile Ficin, l'un des maîtres de la Renaissance néoplatonicienne (il achève en 1486 la traduction des Ennéades de Plotin). Nous avons déjà évoqué l'importance prise par Pic de la Mirandole dans l'émergence de cet humanisme qui ne réussira pas à l'emporter devant l'évolution rationaliste et capitalistique de la modernité historique. Cette première modernité était, me semble-t-il, plus riche en terme de potentialité d'humanisation que celle des Lumières qui préféreront une figure de l'homme dans laquelle domine l'exercice d'une ratio critique, "cartésienne", et, finalement, plus étroite, philosophiquement et théologiquement, que l'intellectus dont parlent les médiévaux et les humanistes de la Renaissance, autrement dit d'un intellect qui est une capax dei, capable de Dieu, c'est-à-dire de transcendance. Conception que reprendra Jung quatre siècles plus tard dans la perspective de la psychologie des profondeurs.

Chapitre 6. Un réenchantement du monde ?
£ "Homo universalis" et homme unidimensionnel
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S'il y a une matrice de la modernité, entre le XVe et le XVIe siècle, celle-ci ne se laisse pas saisir facilement. Expression d'une mutation sociétale majeure, la modernité traduit un changement de "paradigme" (...), une révolution copernicienne avons-nous dit qui affecte l'ensemble des espaces sociaux, mentaux et culturels : science, technique, droit, politique, art, philosophie, économie, architecture et, bien évidemment, religion. L'un des thèmes qui traversent cette mutation et qui donc, renvoient à quelque chose d'essentiel dans la modernité, est celui de la nature humaine, de son rapport avec la liberté, la transcendance ou le temps. A bien des égards, il semble impossible d'évoquer les fondements de la modernité si nous occultons le débat soulevé à propose de l'humanisme. La question est au coeur de l'impulsion moderne et de ses divers impératifs.

Chapitre 6. Un réenchantement du monde ?
£ "Homo universalis" et homme unidimensionnel
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Le métissage religieux

(...), il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'aucune religion historique n'a échappé au mélange et au métissage. le judaisme emprunte à l'Egypte et à la Mésopotamie, le christianisme offre une synthèse du judaisme et de l'hellénisme, l'islam emprunte à la Bible et aux traditions arabes pré-islamiques, le bouddhisme tibétain au bouddhisme indien et au chamanisme Bon, etc. Il n'existe aucune religion qui soit "pure" de toute "contamination" extérieure. Les traditions religieuses, telles que nous les connaissons aujourd'hui et telles qu'on peut les connaître à travers les études historiques, sont des amalgames entre divers courants de pensée, diverses croyances, diverses cultures.
Ce qu'il importe aussi de souligner, c'est que ce travail de composition que l'on peut voir dans toute culture humaine, et donc religieuse, ne s'élabore pas sans tension, c'est-à-dire sans la tentative d'une nouvelle élaboration cohérente. Le métissage religieux des religions historiques ou traditionnelles ne consiste pas en la juxtaposition de croyances hétérogènes. C'est le fruit, souvent séculaire, de synthèses nouvelles opérées par un puissant travail de réinterprétation. Les éléments empruntés à d'autres cultures sont réagencés de manière consciente et organique afin de produire une synthèse cohérente. Par exemple, les premiers théologiens chrétiens, les Pères de l'Eglise, n'ont pas utilisé n'importe quelles catégories de la pensée grecque pour formuler le dogme trinitaire du christianisme naissant, profondément enraciné dans la foi et la culture juive. Il sont choisi des concepts de la pensée stoicienne comme le logos pour parler du Fils ou le pneuma pour parler du Saint-Esprit, parce que ces concepts semblaient pouvoir assumer les catégories bibliques sans les trahir. Le travail syncrétique traditionnel tente d'éviter l'écueil de ce qu'on appelle communément et de manière péjorative le "syncrétisme", c'est-à-dire la confusion et l'amalgame incohérent, justement parce qu'il assume les tensions issues de métissages culturels en cernant les logiques incompatibles, en cherchant la cohérence dans le conflit. Le travail syncrétique dans une société traditionnelle suppose donc une mémoire longue. On utilise des éléments dont on connaît la signification antérieure.

2. La globalisation du religieux
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La raison critique ne se contente pas de s'investir dans la connaissance scientifique ou dans la remise en cause des institutions., elle s'introduit aussi dans la libre lecture des textes bibliques et tente de les "démythologiser" (elle aboutira à Bultmann). Entreprise commencée par les Réformateurs, cette relecture critique du texte biblique sape le fondement de l'autorité des institutions religieuses, et pas seulement chrétiennes, comme le montre l'exemple de Baruch Spinoza, qui est banni de la synagogue par les rabbins, le 27 juillet 1656, pour avoir remis en cause la Révélation de Moise et proposé une lecture rationnelle de la Thorah. (...)

Ainsi la religion est de plus en plus reléguée comme une sphère particulière de l'activité sociale : elle perd sa prétention à englober toutes les autres sphères de la société. La séparation du politique et du religieux -qu'elle soit inscrite ou non dans les Constitutions des Etats- est la première conséquence de ce processus de différenciation fonctionnelle qui aboutira à la privatisation progressive de la religion dans la sphère individuelle.

1. L'individualisation du religieux
Les Lumières : une quête d'autonomie § Raison critique et autonomie du sujet
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(...) à travers cette approche "négative" du divin on peut établir un rapprochement fécond avec les spiritualités orientales qui, elles, partent en géénral d'une non-détermination de l'Absolu. Il ya en effet une analogie profonde entre la notion "d'Essence divine" qui se donne à travers la "Déité" eckhartienne, la houwa (Lui) des soufis musulmans ou l'Ein Sof des kabbalistes, et la shunyata (la vacuité absolue) du bouddhisme ou le brahman impersonnel de l'Inde. Transreligieuse et transculturelle, la voie apophatique ne constitue-t-elle pas l'une des conditions de la reconnaissance positive, profonde, du pluralisme religieux, et l'une des principales conditions d'un dialogue interreligieux authentique et fécond ? (...) C'est certainement l'une des raisons pour lesquelles l'apophase constitue l'un des principaux ingrédients de la religiosité alternative. Maître Eckhart et l'école rhéno-flammande, Ibn Arabi, Rûmi et les mystiques soufis, les kabbalistes juifs et les théosophes de la Renaissance sont parmi les courants et les figures les plus cités au sein de la nouvelle religiosité occidentale. Toute la question est de savoir à quel degré de profondeur ces auteurs sont lus et compris par nos contemporains. Sans réelle formation philosophique ou théologique, est-il possible de véritablement saisir la portée et le sens de tels ouvrages de théologie mystique ? Que ces auteurs "parlent" à nos contemporains est assurément le signe que ces derniers sont en quête d'une autre formulation du divin plus profonde, expérientielle, et apophatique que celle qui domine en Occident depuis quelques siècles, ce qui nous autorise à relier les quêtes actuelles d'un divin impersonnel à ces courants philosophiques et théologiques issus de l'univers traditionnel.

Chapitre 7. Les nouvelles figures du divin.
§ Nouvelle religiosité et théologie négative
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En rupture avec les théologies dominantes du Dieu personnalisé, la critique contemporaine fait ainsi fortement écho à un courant philosophique et théologique alternatif qui parcourt une grande part de l'histoire des philosophies et des religions depuis deux mille ans en Méditerannée : celui de l'apophase (qui signifie négation). Ce que les Anciens appelaient la via negationnis (voie négative) est un continent spirituel que nous pouvons explorer à travers de nombreux espaces historico-culturels au sein des polythéismes comme des monothéismes. De la philosophie des néoplatoniciens paiens de l'Antiquité tardive (de Plotin à Damascius en passant par Proclus) à la théosophie islamique (des soufis comme Ibn Arabi aux Connaissants spirituels de l'Iran shi'ite), de la patristique chrétienne (Denys, Jean Scot Erigène, Jean Chrysostome, Syméon le Nouveau Théologien, Grégoire de Palamas, etc.) à la théologie mystique latino-allemande de l'Ecole de Cologne (Maître Eckhart, SUso, Tauler), sans oublier la kabbale juive du Moyen Age et la théosophie de la Renaissnce, il est possible de reprérer les traces des diverses trajectoires de l'apophase qui se répondent les unes les autres à travers des traductions, des transferts de connaissance ou des créations inédites, mais confluentes. Au cours du XXe siècle, de nombreux théologiens et philosophes ont redécouvert les richesses de la voie négative et du néoplatonisme. des auteurs comme Henry Corbin, Jean Trouillard, Stanislas Breton, Pierre Hadot, Emile Zum Brunn, Alin de Libera ont largement contribué à cette redécouverte, par leurs travaux et traductions.

Chapitre 7. les nouvelles figures du divin
§ Philosophies et théologies négatives
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Il est nécessaire d'insiter sur la dimension néoplatonicienne de la première version de l'humanisme et donc de la modernité, car le legs de Plotin et de ses disciples (comme Proclus) va traverser toute l'histoire culturelle, intellectuelle et religieuse de l'Europe moderne. Si ce legs est incontestablement au coeur de l'humanisme du XVe et du XVIe siècle, il circulera ensuite dans les sphères de résistance qui émergeront face, non pas à la modernité en général (parce qu'elles prennent appui sur le Sujet moderne), mais au réductionnisme, au désenchantement du monde, au primat des valeurs marchandes et d'une rationalité qui prétend épuiser la question du sens. C'est en tout cas le constat que font les générations postérieures à l'époque fondatrice de la Renaissance, des platoniciens de Cambridge (comme Henry More ou Ralph Cudworth) aur romantqiues allemands ( comme Franz von Baader ou Novalis), (...). C'est principalement autour de ce patrimoine néoplatonicien qu'un certain nombre d'intellectuels, de philosophes et de religieux défendent une image du monde et de l'homme qui est résolument moderne, dans la mesure où elle part de l'autonomie du Sujet (autovalidation, à partir de son expérience propre et intérieure, des contenus cognitifs de la pensée) en même temps qu'elle entend assumer une conception à la fois scientifique et magico-religieuse de la réalité. (...)
Autant, également, l'humanisme des Lumières ou de MArx insiste sur les dimensions extérieures, socio-économiques et politiques, de l'aliénation de l'homme, autant celui de Pic de la Mirandole à Gilbert Durand, de Marsile Ficin à Carl Gustav Jung fait le pari d'une libération intérieure, spirituelle, psychologique.
C'est au niveau de ces divers humanismes, me semble-t-il, que l'on peut poser correctement la question webérienne du désenchantement du monde. (...)

A l'instar des premiers humanistes de la Renaissance, l' "homme universel", qui tente d'allier raison critique et quête de sens, pensée logique et intuition, action sur le monde et introspection, refuse d'être réduit à cette caricature de l'homme qu'est l'homo oecomicus et entend habiter un cosmos vivant.
Rappelons-le encore une fois, en évoquant ces figures que sont l'homo universalis et l' "homme unidimensionnel", nous avons en tête des idéaux types, des pôles conceptuels, des abstractions, et non des réalités qui existent d'une façon pure dans le champ social et dans l'histoire. Mais ces figures peuvent nous aider à comprendre que le Sujet religieux à l'époque moderne, celui notamment qui entend réenchanter le monde, ne se situe pas dans la continuation mécanique de l'homme religieux médiéval et antique, mais est l'une des cristallisations du Sujet moderne lui-même, et cela parce qu'il est sujet.

Chapitre 6. Un réenchantement du monde ?
£ "Homo universalis" et homme unidimensionnel
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S'il y a bien un sujet moderne, il se décline au pluriel de la même façon que la modernité comme mouvement historique global porte la marque d'une diversité irréductible.
Cette période des XVe, XVIe et XVIIe siècle a été le théâtre de la naissance de cette complexité originelle. Comme je l'ai évoqué dans le premier chapitre, on peut constater que l'humanisme se conjugue alors au pluriel, propose plusieurs figures d'homme et d'humanité. (...), il n'est pas illégitime d'essayer de voir quelles étaient les figures d'homme qui potentiellement dessinaient la modernité dans son origine. A gros trait, et caricaturalement, il est possible de mettre en évidence la figure de l' "homme unidimensionnel" (selon la formule d'Herbert Marcuse) et celle de "l'homme universel" (homo universalis) qui renvoie à cette figure du Sage humaniste et spirituel de la Renaissance dont Léonard de Vinci sera l'un des hérauts. Ces figures sont des idéaux types, des figures archétypales, autrement dit des potentialités. Elles n'existent pas dans la réalité sociale concrète, mais polarisent des projets, des dynamiques, des mouvements.

Chapitre 6. Un réenchantement du monde ?
£ "Homo universalis" et homme unidimensionnel
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