Citations sur L'Ultime Secret de Frida K. (30)
« Ils ont tué la Niña Blanca, ils ont tué la Niña Blanca », crie une vieille femme affolée, hors d’elle.
Il retrouve Figueroa en train de prendre une photo du tas de poussière sur l’autel et frissonne malgré lui. Machuca relit la petite carte. « Au nom de Dieu. » Il regarde l’autel, sans arriver à trouver de lien entre les deux. Il déteste les puzzles et les complications. Ses enquêtes sont toujours bouclées rapidement. Les crimes se réduisent à un règlement de comptes entre narcotrafiquants ou à une histoire de jalousie et d’adultère. En un tour de main, l’affaire est réglée. Son maigre salaire et son âge avancé ne justifient pas qu’il se lance dans de profondes recherches. Il n’est plus qu’un inspecteur fatigué.
L’Évêque a levé son index pour donner encore plus de poids à ses menaces. Machuca se contente de hocher la tête. « Je comprends », semble-t-il dire, mais en réalité, il est paumé. Et en retard en plus, aussi se dépêche-t-il de quitter le bureau en assurant à l’Évêque que ce crime ne restera pas impuni.
Machuca ne comprend toujours rien malgré le ton ferme qu’emploie l’Évêque, comme pour effacer le terrible spectacle qui se trouve derrière la porte de son bureau. Mais les cris de rage et le brouhaha qui ne cesse de grandir se chargent de leur rappeler qu’un sacrilège a été commis.
— Et je vais vous dire une chose, inspecteur. Tous ces gens, que vous entendez dehors et qui adorent notre sainte, sont de fidèles dévots qui n’hésiteront pas, le moment venu, à se convertir en soldats, en soldats de la foi.
L’Évêque l’invite à entrer dans son bureau. Machuca le suit d’un air résigné et le regarde tourner plusieurs fois autour d’une chaise, puis l’écarter avant de se planter devant une étagère de livres comme si la réponse à cette horrible profanation se trouvait là.
— Je n’aurais jamais cru que Rome irait jusque-là.
L’inspecteur le regarde sans comprendre.
— Mais nous ne sommes plus un petit caillou dans la chaussure du Vatican. Nous sommes devenus un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix.
« Au nom de Dieu », relit-il. Des bêtises, ce sont forcément des bêtises. Machuca a 53 ans, il vient de perdre sa fille. Un suicide. Elle avait tout juste 18 ans. Il ne peut pas croire en Dieu. D’ailleurs, il ne croit en rien. Si ce n’est dans son équipe de foot qui perd tous ses matchs. Des losers comme lui.
L’inspecteur se tourne vers l’autel où il surprend Figueroa en train de faire le signe de croix d’un geste fugace, en cachette. Machuca n’en revient pas. Son lieutenant lui-même vouerait-il un culte à la Santa Muerte ? Il secoue la tête comme pour repousser cette idée et sort un carnet, mais ne sait pas par où commencer. Il n’a pas l’habitude de ce genre d’affaire. Un crime, c’est autre chose. On enterre le cadavre et puis voilà. Cela fait seulement un mort de plus. Mais une attaque contre le sanctuaire de la Santa Muerte, c’est du jamais-vu. Il aimerait tellement croire que tout ça n’est qu’une mauvaise plaisanterie macabre.
Machuca regarde ses mains qui ne s’ouvrent plus généreusement pour offrir les dons de la Santa Muerte, celle qui résout tout, le possible comme l’impossible. Elles sont fermées en un poing menaçant. « Qui que tu sois, tu paieras », semble dire ce geste.
L’Évêque continue d’évaluer le désastre en se triturant les mains. Machuca ne l’avait jamais vu ainsi, à moitié nu, avec sa chair molle et ses bourrelets que ne dissimule pas sa soutane. Impossible d’imaginer que des fidèles portent aux nues et écoutent religieusement, depuis plusieurs mois, cet apôtre du barrio bravo
L’inspecteur éprouve soudain de la compassion pour le type qui a commis ce crime.