Citations sur L'Ultime Secret de Frida K. (30)
« Au nom de Dieu », relit-il. Des bêtises, ce sont forcément des bêtises. Machuca a 53 ans, il vient de perdre sa fille. Un suicide. Elle avait tout juste 18 ans. Il ne peut pas croire en Dieu. D’ailleurs, il ne croit en rien. Si ce n’est dans son équipe de foot qui perd tous ses matchs. Des losers comme lui.
L’inspecteur se tourne vers l’autel où il surprend Figueroa en train de faire le signe de croix d’un geste fugace, en cachette. Machuca n’en revient pas. Son lieutenant lui-même vouerait-il un culte à la Santa Muerte ? Il secoue la tête comme pour repousser cette idée et sort un carnet, mais ne sait pas par où commencer. Il n’a pas l’habitude de ce genre d’affaire. Un crime, c’est autre chose. On enterre le cadavre et puis voilà. Cela fait seulement un mort de plus. Mais une attaque contre le sanctuaire de la Santa Muerte, c’est du jamais-vu. Il aimerait tellement croire que tout ça n’est qu’une mauvaise plaisanterie macabre.
Machuca regarde ses mains qui ne s’ouvrent plus généreusement pour offrir les dons de la Santa Muerte, celle qui résout tout, le possible comme l’impossible. Elles sont fermées en un poing menaçant. « Qui que tu sois, tu paieras », semble dire ce geste.
L’Évêque continue d’évaluer le désastre en se triturant les mains. Machuca ne l’avait jamais vu ainsi, à moitié nu, avec sa chair molle et ses bourrelets que ne dissimule pas sa soutane. Impossible d’imaginer que des fidèles portent aux nues et écoutent religieusement, depuis plusieurs mois, cet apôtre du barrio bravo
L’inspecteur éprouve soudain de la compassion pour le type qui a commis ce crime.
Machuca n’ose même pas imaginer la réaction dans le quartier de Tepito quand la nouvelle sera ébruitée. Parce qu’après le choc, l’incrédulité, le pire peut arriver.
Et en plus ce salaud est cultivé, se dit-il. Il contemple en silence la triste image de la Flaca réduite en morceaux. Il a du mal à réfléchir au milieu de cette odeur de poulailler et d’encens. Le coupable a une belle calligraphie et un sacré courage ! Ou une haine redoutable. Il fallait du culot pour s’introduire dans ce quartier, règne de la kalachnikov, où tout s’achète et se vend, à commencer par la vie, où la seule chose qui compte, c’est d’être protégé par la Santa Muerte. Tout le monde prie la Flaca, tous demandent sa protection, elle est le dernier espoir quand toute espérance a été perdue. Quand on n’attend plus rien de la charité de Dieu ou des hommes.
L’inspecteur aperçoit soudain une petite carte glissée sur l’autel. Il déchiffre les mots inscrits dessus, d’une belle écriture soignée : « Au nom de Dieu. »
Avec ses cheveux longs et sa boucle d’oreille, il ressemble plus à une rock star qu’à un flic, mais Machuca n’a pas de chance, son collègue est aussi dénué de talent dans un domaine que dans l’autre.
L’inspecteur Machuca entre dans la chapelle d’un air las, excédé. Il ne répond même pas au salut martial de son collègue Figueroa. Il ne sait pas ce qui le scandalise le plus : voir le squelette détruit, ou l’Évêque, le prêtre autodéclaré de ce culte, en petite tenue. Celui-ci, furieux, rouge d’apoplexie, peine à trouver ses mots. Le seul qui ose prononcer une parole après avoir fait le tour de l’église, son appareil photo en main, c’est Figueroa qui annonce doctement :
— Un petit malin cherche à nous emmerder.