Les dunes du Cotentin, tome 1 : L'appel du large

Depuis qu'elle avait revu Augustin au cours de la cérémonie de la communion, Espérance avait envie de lui parler. Ils avaient défilé presque côte à côte. Il était si mignon avec sa toute petite bougie. Son père lui avait délicatement expliqué que la taille de la bougie était proportionnelle aux revenus de la famille. Les gens de rien se contentaient de petites bougies. A défaut de comprendre les mots compliqués "d'inégalité sociale", celle-ci s'était donc matérialisée devant les yeux d'Espérance d'une manière très originale. Et elle avait presque honte de son quasi-candélabre.

Une nuit, alors que, comme souvent, les larmes lui venaient aux yeux en pensant à sa Provence et à sa Jeanne, Juliette se dit que, finalement, tout n'était pas négatif dans cette expérience à Paris. Jamais elle n'aurait fréquenté à Marseille une femme d'une condition sociale inférieure. Elle avait beaucoup à apprendre de la vie.

En 1911, à Paris, les jeunes filles de bonnes familles avaient commencé à pouvoir refuser d'être mariées de force. Cela se faisait moins. Et c'est ainsi que ce riche jeune homme s'était vu refuser par la plupart des demoiselles qu'il courtisait. Car, en plus, il ne désirait que les jolies. Et les jolies n'en voulaient pas.
Il faut dire qu'il était repoussant.

Pour aller jusu'à la dune, ils passèrent par le moulin. Augustin aimait bien ce chemin recouvert entièrement par les frondaisons des hêtres qui le bordaient. On avait l'impression de marcher dans un tunnel de verdure. Mais surtout, il y avait le cheval. Un magnifique percheron blanc qui était toujours à l'entrée du champ du Père Louis. Il semblait à Augustin qu'il ne bougeait jamais, comme si c'était une statue. La nuit, avant de s'endormir, il l'imaginait en licorne, avec une défense aussi blanche que sa crinière. Il n'aimait pas l'image de l'angelot joufflu qu'on lui présentait dans le livre de catéchisme comme son ange gardien. C'était cet être magique qui était devenu pour lui son protecteur. Sa seule vision lui donnait confiance. Il n'en avait parlé à personne, pas même à Lucien.

Lucien et Augustin avaient d'autres images en tête. Celles de l'aventure de ces héros qui voyageaient au-delà de l'horizon, dans les mers mythiques de Terre-Neuve. Louis, le père de Lucien, l'avait abreuvé des histoires de bancs d'innombrables morues, des doris qu'on mettait vite à l'eau pour les pêcher par grappes à la ligne et qu'on remplissait à ras-bord, presqu'à les faire chavirer. Il lui racontait les rencontres magiques avec des hordes d'énormes baleines dont il fallait se méfier, minuscules qu'ils étaient sur leurs frêles esquifs ballotés par les vagues.

- J'ai une question à te poser.

Il la regarda, sûr d'avoir une réponse à la question qu'il pensait forcément facile de la part de cette fille d'école religieuse.

- Vas-y !

- Tu te rappelles l'autre jour, avant la communion, quand on s'est vus sur la place de l'église alors que je rentrais à l'école avec mes camarades...

Augustin devint rosâtre et balbutia :

- Oui... Je me souviens...

- Il y a quelque chose que je n'ai pas compris dans la chanson des garçons.

Il devint carrément rouge et baissa les yeux. Elle continua sans s'en préoccuper :

- Ça veut dire quoi : " il bande " ?

Il tourna la tête à droite, puis à gauche, tout en gardant les yeux baissés. Il était coincé. D'autant plus que lui-même ne savait pas trop ce que cela voulait dire ! Que faire ?